Elle avait décidé de l’attendre, parce qu’il avait dit qu’il reviendrait. Ils s’étaient envoyés quelques textos, mais il prenait apparemment bien son temps. Elle, elle hésitait toujours à regarder ce qui se cachait sous son lit, sa curiosité la rongeait, mais elle ne le fit pas. Parce qu’elle était respectueuse et vu le mal qu’il s’était donné à ne rien lui montrer, peut-être que c’était important pour lui. Alors elle faisait les quatre-cents pas dans la chambre. Comme il prenait vraiment, vraiment son temps, elle se doucha et se prépara à aller se coucher. Ses cheveux étaient détachés, encore humides, et elle avait enfilé son pyjama, ce qui se résumait à une culotte et un grand t-shirt qui lui arrivait au-dessus des genoux. Fallait pas que les gens de la chambre se fassent trop d’idées.

Elle s’installa sur le lit double qu’ils avaient installé quelques heures auparavant, s’appuya contre un coussin et envoya encore un texto à Jace. Il était bientôt là, qu’il disait. Il était dans le couloir et arrivait dans vingt minutes. Il devait se foutre de sa gueule, parce que traverser un couloir en vingt minutes, même en se forçant, c’était ridicule. Elle soupira et alla à la fenêtre se fumer une clope. Il était passé vingt-et-une heure et il allait encore mettre vingt minutes à arriver. Quel con d’être parti comme ça, aussi. Enfin, sûrement un devoir urgent.

Elle s’accouda à la fenêtre et fuma tranquillement. Aucun de ses colocataires n’était encore arrivé, à croire qu’ils ne dormaient jamais. Elune n’avait pas eu envie de sortir, alors elle était restée là à rien faire, en mélangeant ses vieilles cartes truquées, en parlant à Absol, en imaginant ce que pourrait être son avenir à l’académie. Rien d’intéressant, en somme. Mais toutes les dix minutes, elle se rongeait les doigts à ne pas pouvoir regarder sous le lit. Dire qu’elle se réjouissait de passer la soirée avec Jace, parce qu’elle se sentait bien avec lui. Mais bon, il allait bientôt arriver. S’il ne disait pas encore de conneries.

La fenêtre ouverte laissait passer un grand froid, Elune en avait presque des frissons, mais elle avait trop eu envie de sa cigarette. Alors elle frottait ses bras de temps en temps, mais elle ne s’éloigna pas de la fenêtre pour autant. Elle regardait le paysage et pensait à plein de choses, dont certaines qu’elle aurait bien voulu éviter, mais lorsqu’elle était seule et dans ses pensées, son passé revenait au grand galop. Elle fut prise d’une nostalgie soudaine et laissa sa clope se consumer sans tirer dessus pendant une ou deux minutes. Le temps que Jace arrive dans la chambre.

Elle n’avait rien remarqué, trop plongée dans ses pensées pour faire attention à quoi que ce soit. Elle ne l’avait pas entendu rentrer, ni s’approcher d’elle. Mais lorsqu’il glissa sa main sur la cuisse d’Elune, cette dernière lâcha sa cigarette de surprise, qui tomba de nombreux mètres plus bas. Elle fut tellement surprise qu’elle restait bouchée bée, figée et le sang glacé. Elle aurait pu bégayer quelque chose, mais rien d’audible. Par contre, Jace ne se gênait pas de parler. Elle n’était pas une mauvaise fille, qu’il disait, parce qu’elle avait gardé sa culotte. Il était sérieux ? Elle voulut répliquer, lui envoyer des piques, l’engueuler pour ce geste qui ne se faisait pas, mais la seule présence de sa main sur sa cuisse la réduisait au silence. Des frissons lui parcoururent le corps lorsqu’il lui murmura son excuse pour son retard et qu’il déposa un baiser juste en dessous de son oreille. Elle était contente qu’il soit revenu, plus contente qu’elle ne l’avait imaginé. Elle avait pensé à la manière de les accueillir, lui et son retard. Elle avait pensé à plein de choses négatives, mais au final, elle était vraiment heureuse de le retrouver. C’était une belle rencontre pour elle. Un bon partenaire.

Elle se retourna lorsqu’il prit de la distance pour aller se changer. Elle n’avait toujours rien dit. Jace la fixa, et lui demanda si elle ne voulait pas le déshabiller, parce qu’il était fatigué. Sérieusement ? Est-ce que ça voulait dire qu’ils n’allaient même pas discuter un moment avant d’aller se coucher ? Qu’il n’allait rien lui dire au sujet de son départ soudain ?

« T’es pas croyable... »

Mais elle s’avança près de lui, un petit sourire aux lèvres, jusqu’à ce qu’ils ne soient séparés que de quelques centimètres. Elle le regarda un instant puis commença à défaire les boutons de sa chemise.

« Moi aussi, je suis fatiguée. Parce que j’ai glandé ici en espérant que tu reviennes vite. »

Elle arriva gentiment au dernier bouton et fit glisser la chemise de Jace sur ses bras. Elle la posa sur une chaise - elle n’allait quand même pas la ranger dans son armoire - puis revint vers lui. Il était torse nu et le spectacle était réjouissant. Elle ne pu empêcher un petit sourire de se dessiner sur son visage. Tout de même, il avait quelque chose. Et Elune avait une soudaine envie de le toucher, comme ça. Elle se retint.

« Les garçons devraient tous aller comme ça en cours. Torse-nus. Je suis sûre que tu pourrais mettre n’importe quelle fille à tes pieds et les bouffer toutes crues. »

Elle disait ça en rigolant, mais elle ne rigolait pas vraiment. Il pouvait vraiment le faire et, sans trop comprendre, elle n’aimait pas ça. Déjà, elle ne supporterait pas d’avoir trop de monde dans sa chambre. De plus, elle aimait bien avoir l’exclusivité. Et lui, rien que parce qu’il était un partenaire de jeu intéressant, elle n’avait pas envie de le laisser aller vers n’importe quelle simplette de l’académie. Il méritait mieux que ça.

Elle avait froid et elle frissonnait régulièrement. Elle frissonnait encore plus lorsqu’elle était proche de Jace et qu’elle lui ôtait sa chemise. Quand elle lui annonça que ça serait pas mal d’avoir tous les garçons à torse-nu dans l’académie, il répliqua que de toute manière elle pouvait avoir n’importe quelle fille, quand il voulait, où il voulait. Elune plissa les yeux et pinça les lèvres. Ah oui ? Son baisemain était provocateur, histoire de souligner le fait qu’il pouvait vraiment attraper qui il voulait. Mais il affirma préférer les gens intéressants et là, la jeune femme se reconnaissait, qu’il la vise ou non. Et son petit coeur se réchauffa. Il n’aimait pas les cruches, c’était bien. Elle allait lui prouver qu’il pouvait avoir de l’intérêt pour elle. Mais il se détacha très vite de la Wèngyard pour continuer à se déshabiller. Et cette dernière ne le quitta pas des yeux, les bras pendant le long de son corps, comme si elle était obnubilée par ce qu’il faisait. En réalité, elle était perdue dans ses pensées. Trop de choses s’étaient passées ces derniers temps, mais elle se réjouissait d’avoir fait la connaissance de Jace. Il semblait honnête malgré tout, ou bien plutôt, il semblait respectueux. Et c’était important pour elle.

Il ôta ses chaussures négligemment, puis détacha sa ceinture pour enlever son pantalon. Il le rangea et se dirigea vers le lit en boxer et en chaussettes. Elune ricana en le voyant ainsi. Il était très, très beau, mais alors les chaussettes... Elle fut rassurée lorsqu’il les balança sur le bureau et qu’il n’était plus qu’en « petite tenue ». La jeune femme profita du spectacle malgré la chambre qui s’était bien assombrie. Elle ne prit pas la peine d’aller fermer la fenêtre lorsqu’il lui tendit la main en lui demandant de venir près de lui. Elle ne prit même pas le temps de réfléchir et, machinalement, se rapprocha de lui. Elle prit la main qu’il lui tendait et se faufila dans le lit avant d’être attirée contre Jace. Une douce chaleur se propagea dans son corps tout entier et elle était incroyablement bien, là, couchée contre lui, au chaud sous la couette. Elle sentait son souffle doux qui agissait telle une berceuse et ferma les paupières non sans avoir plongé une dernière fois ses yeux dans ceux de Weaver.

« C’était une très belle victoire et une très belle décision de gain. »

Elle posa sa main sur le torse de Jace en espérant qu’elle ne soit pas trop froide et se serra contre lui. Elle se sentait rassurée, protégée, et cette sensation lui apportait un réconfort certain. Elle avait envie de le serrer dans ses bras, car sa chaleur lui faisait du bien, mais ce rapprochement était peut-être trop soudain. Elle était fatiguée, elle ne savait plus trop à quoi elle pensait. Alors elle lui murmura quelques mots.

« Bonne nuit, Jace. C’est un plaisir d’avoir fait ta connaissance.»

En quelques minutes, simplement grâce à sa présence, elle plongea dans un sommeil profond.

Aujourd’hui, Elune se sentait un peu lasse. Elle n’avait pas eu envie d’aller en cours, mais y était allée quand même, parce qu’elle voulait faire un tant soit peu bonne impression pour ses premiers pas à l’académie. Et puis, Jace n’était pas venu, lui, ce qui l’avait encore plus déprimée. Depuis leur première nuit ensemble, ils s’étaient rapprochés, ils s’entendaient bien, ils ne passaient pas une journée sans discuter un moment, sans jouer. Sauf qu’aujourd’hui, et il était déjà le début de soirée, ils n’avaient pas échangé un seul mot. Pas un seul message, rien. Ça ne faisait pas longtemps qu’ils se connaissaient, c’est vrai, mais Elune avait eu un vrai feeling avec lui et le considérait comme quelqu’un d’important pour elle ici. Alors ce soudain manque de communication ne lui plaisait pas beaucoup. Peut-être qu’il était occupé ? Peut-être qu’ils jouaient de nouveau, les deux, à ne pas se donner de nouvelle ? Parce que dans la tête de la Wèngyard, il était évident qu’elle n’allait pas lui envoyer un message si lui ne lui en avait même pas envoyé un pour lui dire qu’il ne venait pas en cours. Ça lui provoquait un manque, il faut le dire, mais elle n’allait pas craquer. Elle n’était pas accro non plus, faut pas exagérer.

Mais elle décida de l’attendre dans la chambre. Le soir arrivait gentiment, alors elle se prépara, se remit en pyjama lorsqu’elle était certaine de ne plus sortir de la chambre et s’occupa à nouveau comme elle le pouvait en attendant le retour de Jace. Maks et Krys n’étaient pas là, comme toujours. Ils rentraient souvent tard et faisait mille et une crasses de leur côté. Ce n’était pas plus mal, car parfois elle pouvait avoir un moment seule avec Jace et ça lui faisait du bien. Elle avait remarqué qu’il avait rapproché les lits, ce qui voulait signifier que ce soir serait la deuxième nuit qu’ils passeraient ensemble. Elune se réjouissait, car la première lui avait fait du bien. Se sentir entourée et réconfortée, même si elle avait beau être une jeune femme indépendante et qu’elle cachait bien ses sentiments, ça lui avait fait plaisir. Alors ce soir, elle espérait ressentir la même chose et s’endormir dans ses bras de la même manière.

Elle prit place sur le lit double et observa un peu le dortoir jusqu’à tomber sur les chocolats qu’elle avait préparé et qui attendaient sur le bureau. Merde, elle avait complètement oublié de les cacher pour le retour de Jace. Elle bondit sur ses pieds pour aller les chercher, et c’est à ce moment-là qu’elle entendit quelqu’un entrer dans la chambre. Elle se retourna presque en sursaut et se positionna bien devant les chocolats, qu’il ne puisse pas les voir. Il lui sourit et elle le lui rendit. Elle était heureuse de le voir, elle avait envie de sautiller vers lui et de lui sauter dans les bras, comme une pulsion, mais se retint pour diverses raisons qui la décrédibiliseraient. Alors elle afficha simplement un petit sourire, alors qu’elle ressentait bien plus. Enfin ils se parlaient, les cons !

« J’ai cru que t’allais pas revenir de la journée. Je me suis dit que t’allais peut-être rester avec une fille aujourd’hui, vu que c’est la saint-valentin, ahah. »

Ahah. Rien que l’idée qu’il puisse avoir passé la journée avec une autre fille lui écrasait le coeur. Il n’était pas venu en cours, il était rentré tard, peut-être même qu’il allait ressortir mais qu’il ne venait ici que pour se changer... Elune chassa toutes ces pensées de son esprit et fit mine de plaisanter comme si ça ne l’affectait pas. Sauf qu’au fond, elle espérait de tout coeur qu’il n’avait pas été courir après n’importe qui.

Lorsqu’il s’approcha d’elle, elle prit peur pour ses pauvres chocolats qu’il remarquerait peut-être. Mais apparemment, il ne se concentrait que sur elle. Il était si près qu’elle devait lever la tête pour le regarder et remarquer qu’il avait un regard particulièrement attendrissant. Il toucha doucement son visage, enfouit ses doigts dans les cheveux d’Elune et à ce moment même, elle ne savait plus quoi dire. Elle le regardait simplement, agréablement surprise de son geste, mais se demandant bien ce qui lui prenait d’être si doux. La jeune femme posa sa main sur celle de Jace qui était dans ses cheveux et sans attendre, il baissa la tête et l’embrassa. L’embrasser. Elune avait d’abord les yeux grands ouverts, puis elle les ferma pour les quelques secondes que ce baiser dura. Tout son corps était en ébullition pour ce geste pourtant très chaste. Lorsqu’il ôta ses lèvres de celles de la jeune femme, elle n’en avait pas eu assez. Elle l’observa sans rien dire, pensant que son coeur allait exploser tant il battait fort, et le visage bien rouge. Elle baissa légèrement la tête pour qu’il ne le remarque pas, mais c’était sûrement peine perdue. Il lui souhaita une joyeuse saint-valentin. C’était donc ça ? Elle avait oublié... Quel beau cadeau. Elle releva la tête pour lui offrir un grand sourire et se retourna pour prendre les chocolats à l’orange qu’elle avait préparé après les cours.

« Joyeuse saint-valentin ! Après celui que tu viens m’offrir ce n’est peut-être pas un cadeau digne de ce nom... Mais c’est moi qui les ai préparés. Tiens. »

Elle lui tendit le petit paquet en espérant qu’il aime les chocolats. Elle était encore sous la surprise du baiser et sa voix tremblotait. Elle avait presque honte de ce qui s’était passé. Honte parce qu’elle prenait ça à coeur, que ce baiser lui avait fait ressentir des choses qu’elle ne pensait pas à prouver, qu’elle n’était pas sûre de comprendre ses sentiments ni ceux de Jace. Faisait-il cela pour jouer, comme d’habitude ? Elle n’en avait pas envie. Elle espérait au fond que ce baiser était sincère, saint-valentin ou non. Elle était toute déstabilisée et ne savait plus où se mettre. Pour ne pas qu’il y ait un silence et parce qu’elle se sentait un peu stressée, elle se mit à parler de tout et de rien. Très drédible.

« Tu  vois, j’aime bien cuisiner, alors du coup, c’est pour ça que j’ai fait ça, ahah. Je me suis dit que ça te ferait peut-être plaisir, des chocolats. A l’orange. Oui, des chocolats à l’orange. Mais j’aime bien cuisiner des plats normaux aussi. Enfin, voilà. Du coup j’ai fait ça après les cours, toutes les filles piaillaient comme quoi c’était la saint-valentin, j’en ai même entendu une parler de toi, alors j’ai fait un geste. Ah... Cette fille, d’ailleurs, je sais pas, tu sais elle était louche. Il faudrait pas que tu manges ce qu’elle a fait. »

Une petite lueur vicieuse dans son regard aurait pu lui faire comprendre que ce n’était pas vrai, mais qu’elle ne voulait simplement qu’il ne reçoive pas d’autres cadeaux d’autres filles. Elle avait beaucoup parlé, là, et avait presque du mal à reprendre son souffle. Trop d’émotions en l’espace de si peu de temps...

Elle soufflait encore de tout ce qu’elle avait pu débiter en si peu de temps. Elle se jura de se calmer et de ne pas avoir l’air d’une psychopathe en l’agressant comme ça. Elle fit le vide intérieur et retrouva une certaine sérénité. Pourquoi un baiser si simple lui faisait naître de telles émotions ? Elle aurait voulu l’embrasser encore, ne pas s’arrêter sur ce qui lui avait semblé n’être qu’un frôlement de lèvres. Mais le fait de ressentir tout ça ne la rassurait pas. C’était une sensation agréable, qui lui réchauffait le coeur, mais qu’elle n’avait pas envie d’éprouver. Pas si tôt, pas sans le connaître plus que ça. Elle ne savait rien de lui, elle avait encore des milliers de choses à apprendre, alors il fallait qu’elle canalise ses sentiments et qu’elle continue à jouer avec lui comme il jouait avec elle. Ne pas tomber dans un piège s’il était en train de lui en tendre un et découvrir ses intentions s’il ne lui en tendait pas.

Il lui demanda si son cadeau l’avait déçue. Déçue ? Est-ce qu’il rigolait ? Non, vu la mine qu’il tirait, il devait être sérieux. Elle ne savait pas trop quoi répondre, elle avait peur qu’il soit en train de se moquer d’elle et qu’il abuse du « pouvoir » qu’il détenait. Déjà à leur première rencontre, lorsqu’elle crut qu’il allait l’embrasser, mais qu’il avait plaisanté une fois encore, qu’il avait joué, qu’il ne prenait rien au sérieux. Alors, elle n’avait pas envie de lui dire qu’elle n’avait pas été déçue, parce qu’il pourrait saisir l’occasion de lui dire que lui l’était juste pour l’emmerder, mais elle n’avait pas non plus envie de lui dire qu’elle était déçue, parce que ce n’était vraiment, vraiment pas le cas. Elle aurait voulu recommencer, plusieurs fois, jusqu’à ce que son envie s’assouvisse. Elle secoua la tête comme pour chasser ses pensées.

« Il m’a surprise, oui. C’est le fait d’être séparé de moi toute la journée qui te provoque ce genre de réaction ? »

Elle sourit. Elle avait esquivé la question.

Il ouvrit la boîte de chocolat mais apparemment, ne voulait pas être empoisonné, alors il fit goûté à Elune d’abord, qui accepta même si elle s’en était goinfrée toute l’après-midi. Bien sûr que non, elle ne les avait pas empoisonnés ! Qu’est-ce qu’il allait inventer, encore ? Il pensait qu’elle était fourbe à ce point là ? A ce niveau là ce n’était plus de la fourberie, c’était carrément de la folie furieuse.

« J’ai empoisonné ceux que j’ai laissé là-bas pour toutes ces filles insupportables, mais pas les tiens, je te rassure. »

Elle plaisantait, mais rien sur son visage ne le montrait. Elle était restée stoïque sans aucune expression particulière.

Il alla ôter sa chemise, comme tous les soirs, et s’installa sur leur lit improvisé. Il tendit la main à Elune qui la prit sans réfléchir avant de venir s’installer à ces côtés. Son tatouage l’intriguait, depuis le premier jour où elle l’avait vu se changer, mais elle ne lui avait jamais demandé ce qu’il représentait pour lui ou ce qu’il voulait signifier. Elle fit glisser son doigt sur l’encre incrustée dans sa peau, envieuse de ne pas en avoir un elle aussi. Manque d’argent. Elle était curieuse.

« J’imagine qu’il représente quelque chose ? »

Elle laissa son doigt parcourir les lignes du tatouage quelques instants avant de le retirer et de regarder Jace. Il n’avait pas l’air d’avoir apprécié sa question. Silencieuse, elle baissa la tête. Peut-être qu’il n’avait pas envie de parler de ça, peut-être qu’elle n’aurait pas dû le toucher.

Son bras tatoué n’était apparemment pas un sujet de conversation à aborder. Elle fit tout de même glisser son doigt sur quelques lignes et sentit une sorte de relief sur la peau, comme une petite bosse lisse et douce. Une mauvaise cicatrisation de l’encre ? Lorsqu’elle lui  demanda ce qu’ils voulaient signifier, il ne semblait pas vouloir répondre et retira son bras un peu brusquement. Elune retira aussi sa main et la posa sur le lit. S’il ne voulait pas en parler, c’est sûrement que c’était personnel, alors elle n’allait pas insister. Elle était curieuse, mais ne voulait pas s’introduire de manière malsaine dans la vie de Jace. Alors elle se tut.

C’est alors qu’il proposa de jouer à un jeu. Elune était tout excitée à l’idée de jouer à quelque chose et était aussi fébrile qu’un petit Ponchiot heureux. Elle avait un grand sourire et attendait de voir ce qu’il allait lui proposer. Il s’éloigna d’elle et attrapa quelque chose qui se trouvait sous son lit. Non ? Il n’allait tout de même pas lui montrer son petit trésor ? Les yeux pétillants, la jeune femme attendait de voir ce qu’il allait sortir de là-dessous. Il avait dans la main une bouteille d’un bon Whisky et sur le visage un sourire satisfait et malicieux. Elune se lécha les babines rien qu’à l’idée de se faire une petite soirée alcoolisée avec Jace. Mais, vraiment, c’était ça ce qu’il cachait depuis tout ce temps sous le lit ? Apparemment. Elle rigola doucement et remercia le Wèngyard de partager ceci avec elle. Elle se réjouissait de jouer.

Lorsqu’il lui expliqua les règles, Elune était d’autant plus excitée. Elle tenait l’alcool, mais le whisky, c’était quand même violent... Il l’appela bébé. Ce n’était pas la première fois, mais à chaque fois qu’il le prononçait, le coeur d’Elune faisait un bond. C’était une petite satisfaction personnelle et, même s’il le disait parfois comme pour plaisanter, ou que ça n’avait pas de signification, elle aimait ça. Il lui proposa de jouer à « je n’ai jamais » et l’idée de pouvoir en apprendre plus sur lui la faisait sauter de joie intérieurement. Enfin elle allait pouvoir lui poser quelques questions personnelles... En plus, sous l’effet de l’alcool, il sera certainement plus accessible. Un petit sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme et s’élargit lorsqu’il posa sa main sur sa cuisse en énonçant son exemple. Ce geste provocateur la titillait et de légers frissons lui parcouraient la jambe, remontant dans tout son corps lorsqu’il la caressa doucement. S’il voulait jouer, elle allait jouer aussi. L’alcool ne serait pas de trop.

Elle planta ses yeux dans ceux de Jace et posa sa petite main sur celle que le Wèngyard avait posée sur sa cuisse. Un doux contact, agréable, chaud. Elle voulait décerner une quelconque réaction dans son regard, elle voulait comprendre ce qu’il pensait, mais il était peut-être trop  concentré sur ce petit jeu qui débutait. Elle lui lança un regard beaucoup plus sensuel et rapprocha son visage du sien.

« Oui, c’est vrai. Je vais boire, alors, mais tu dois boire aussi. »

Des yeux de la Wèngyard émanait une petite lueur de malice. Elle lui fit un sourire. Elle ne savait pas ce qu’il allait en penser, mais elle espérait qu’il soit un tant soit peu étonné de sa réaction. Elle voulait gagner la partie, cette fois-ci. Et elle était prête à jouer de façon un peu plus intense. Elle lui prit la bouteille des mains et bu une gorgée qui passa tant bien que mal. La première, c’était toujours la plus difficile. Surtout avec un whisky si fort. Mais il était délicieux et elle voulait presque en prendre une autre gorgée directement. Mais elle redonna la bouteille à Jace.

« Maintenant, à toi. Sauf si tu n’as jamais voulu m’embrasser ? »

Nouveau sourire. La gorgée se ressentait maintenant dans tout son corps, comme s’il avait chauffé d’un coup, et se dissipa aussitôt. Vivement la suite.

« Et après... je n’ai jamais joué à ce jeu pour draguer la plus belle de toutes les Wèngyard. »

Elle plaisantait, et ne plaisantait pas en même temps. Elle n’aimait pas ce jeu d’habitude, mais avec Jace, ça changeait toute la donne. Elle allait prendre un malin plaisir à le taquiner, mais avait conscience que l’alcool qui était de la partie ne serait pas son meilleur ami... Arceus sait ce qu’elle pourrait dire ou faire sous l’effet d’un peu trop de whisky. Au pire, elle risquait de s’endormir mollement dans les bras du garçon, ce qui n’était pas si mal, comme fin de soirée. Tout ce qu’elle voulait, c’était passer du bon temps avec lui, s’amuser, délirer, et oublier un peu les lois et les règles de l’académie pour boire ensemble sans faire attention au monde autour d’eux.

Il bu la gorgée qui était liée au « je n’ai jamais » du baiser. Elune en tira une satisfaction extrême mais s’empêcha de trop le montrer. Puis il bu une autre petite gorgée avant de se rapprocher d’elle, si près qu’il aurait aisément pu lui donner un baiser, juste un petit, mais il n’en fit rien. Elle était frustrée. Elle allait lui prendre la bouteille des mains, mais il reçu un message qui le déconnecta complètement de leur petit jeu dans lequel Elune prenait de plus en plus de plaisir. Elle était vexée. Elle n’aimait pas les gens qui faisaient plus attention à leur téléphone qu’à elle. Elle attendit cependant, le regard blasé, faisait presque la moue. Il lu son petit message et sans trop savoir pourquoi - une fois encore ! - il se leva en lui fourrant la bouteille dans les mains.

« Tu fous quoi ? T'es sérieux, là ? »

Il ne lui répondit pas, trop pressé à enfiler sa chemise et à se rhabiller correctement. Elle aurait voulu lui faire de grands gestes juste devant les yeux pour qu’il lui redonne un regard, mais non, elle resta sur le lit, l’observant en silence. Il était mieux torse-nu. Après s’être habillé, il revint vers Elune et l’obligea à se lever et l’attirant contre lui. Honnêtement, elle aurait rêvé de ce rapprochement dans d’autres circonstances, mais c’était déjà la deuxième fois qu’elle lui faisait ce coup-là. Qu’est-ce qu’il avait de si urgent à faire, maintenant, ce soir ?

Il devait d’absenter et elle devait l’attendre. Bien sûr. Comme la dernière fois. Elle allait l’attendre pendant des heures dans le dortoir en faisant les quatre-cents pas. Elle soupira. Il revint près d’elle après s’être approché de la porte et l’attira doucement vers lui, d’une manière tendre, délicate. Elle aurait presque voulu le repousser pour lui faire comprendre qu’elle n’était pas contente, que cette soirée c’était la leur, qu’ils avaient commencé à jouer et qu’il n’avait pas à l’abandonner comme ça, mais il lui donna un second baiser. Meilleur. En une fraction de seconde, tous les sentiments qu’elle partageait s’évanouirent pour laisser place à une chaleur enivrante, un désir qu’elle ressentait de plus en plus en le côtoyant. Elle se laissa même surprendre en glissant sa petite main dans les cheveux du Wengyard, pour l’attirer un peu plus vers elle. Elle ne voulait pas qu’il parte, elle aurait voulu continuer ce baiser qui lui donnait tant, mais il s’éloigna et partit sans même la regarder. Elune était là, le corps tout mou, les joues rouges et un sacré paquet de sentiments partagés dans la tête. Qu’est-ce qu’il foutait ? Est-ce qu’il jouait ? Est-ce qu’il se foutait d’elle ? C’était facile, de l’embrasser, puis de partir fricoter pendant des heures avec elle ne sait qui, puis de revenir en s’excusant du retard. C’était quoi, son problème ?

« Putain de merde. »

Elle retourna sur le lit et prit la bouteille qu’elle avait posée au sol. Elle ne comprenait pas Jace, elle ne le comprenait vraiment pas. Comment aurait-il voulu gâcher un moment comme celui-ci ? Il ne s’amusait pas ? Il se lassait déjà d’elle ? Et c’était quoi, ce message qu’il avait reçu ? Un rendez-vous ? Peut-être qu’il se comportait comme ça avec toutes les filles, finalement. Et que pour lui, ces baisers ne voulaient rien dire. Elune en trembla un instant. Elle n’avait pas envie de se faire manipuler et humilier. Pas encore. Elle ne voulait pas, surtout pas lui.

Elle bu une gorgée, puis une deuxième. Une troisième. Assise sur le lit, elle descendait tranquillement la bouteille, faute d’avoir quelque chose d’autre à faire. Elle s’alluma même une cigarette qu’elle ne prit pas le temps d’aller fumer à la fenêtre. Tant pis si les draps puaient la clope. Elle s’en foutait. Elle allait attendre Jace et s’il ne revenait pas, c’était mort pour lui. Parce qu’elle pouvait l’attendre en passant pour une conne une fois, mais pas deux. Plus elle buvait, plus son corps devenait léger et ses pensées brouillées. C’était la st-valentin, c’est lui qui avait voulu la passer avec elle, c’est lui qui avait rapproché les lits, mais il s’enfuyait. Elle déprimait.

Elle était assise sur le lit, appuyée contre le mur, et commençait à s’enivrer sévèrement. Ce connard ne revenait pas, il allait encore passer la nuit chez une pute de l’académie en la laissant tomber. Elle en avait plein le cul de tous les cons qui habitaient l’académie, professeurs ou élèves. Elle avait le don pour tomber sur eux. Les gros nazes. Pff. Une gorgée de plus. Elle posa la bouteille sur le sol en manquant de tomber et elle rit. Nerveusement. Elle avait les larmes aux yeux. Il ne revenait pas, il faisait long. Il lui a dit qu’il allait être rapide. Il foutait quoi ?

Elle avait l’air pitoyable, mais elle s’en foutait royalement. S’il revenait, elle le repousserait et dormirait de son côté. Faut pas déconner. L’alcool lui montait à la tête et elle cligna des yeux plusieurs fois pour tenter de reprendre ses esprits. Non. Elle s’en fout, de toute façon. Qu’elle soit bourrée ou pas, il allait passé un sale quart d’heure. Elle attendait. Encore.

Et elle le vit. Il était bizarre et elle, trop bourrée pour commencer à lui hurler dessus. Elle avait envie de hurler, vraiment. C’était du manque de respect et elle en avait marre d’être le petit jouet de ces messieurs. Elle soupira et le fixa avec un regard qui voulait tout dire. Ses yeux étaient brouillés, mais ils envoyaient des ténèbres à toute puissance. Mais Jace s’approcha. Il s’approcha et il ne s’arrêta pas, le con. Il l’embrassa en lui prenant le visage et elle n’avait pas la force de le repousser. Elle voulut profiter du baiser, même si elle avait envie de l’engueuler en même temps, mais ce n’était pas pareil. Peut-être qu’elle était trop bourrée pour en profiter. Il embrassait différemment. Ou alors c’était elle ? Son esprit allait dans tous les sens et Jace allait plus loin. Il la coucha sur le lit et se mit sur elle, l’embrassant encore et encore. Elle n’aimait pas ça. Elle n’avait pas envie que ça se passe comme ça. Mais son esprit beaucoup trop alcoolisé lui disait de continuer. Merde, merde, elle ne voulait pas coucher avec et qu’il la jette après. Merde, elle ne contrôlait pas ses gestes.

« T’étais où, putain... »

Elle le regarda dans les yeux, mais sa vision était légèrement brouillée. Et puis merde, encore. Prise d’une passion soudaine, certainement due à l’alcool ingurgité, le corps brûlant et le coeur battant à toute vitesse, elle déboutonna la chemise du Wèngyard et l’ôta en l’envoyant valser. Elle parcouru son torse de ses doigts, puis les bras, elle n’avait plus envie d’attendre. Elle l’attira contre elle, le désir se mélangeant au whisky qu’elle avait bu, et tilta. Où était passé son putain de tatouage ? Où il était, putain de merde ? C’était pas sa vision, là. C’était pas Jace.

« T’es qui putain ? »

D’un coup de pied qui fut plus brusque qu’elle ne le pensait, elle repoussa cet homme qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à Jace. Elle était bien ivre, mais avait l’impression de dessoûler d’un coup. Elle se leva d’un bond et regarda ce mec qui n’avait pas de tatouage sur le bras.

« Répond putain ! T’es qui ? Il est où, Jace ? C’est quoi ce bordel ? »

Elle était en furie, ne savait plus où aller, son cerveau bouillonnait et finalement, elle se laissa tomber sur le lit et pleura. Elle pleurait, pour la première fois depuis qu’elle était entrée à l’académie. Des grosses larmes. Parce que l’alcool, parce que Jace, parce qu’elle en avait marre de se faire avoir comme une merde. Voilà. Et qu’il se tire, ce pauvre con de sosie. Qu’on la laisse tranquille. Elle sanglotait et lui hurla à la figure en même temps.

« C'est ton putain de frère jumeau, c'est ça ? Et vous pensiez pouvoir me baiser à tour de rôle ?! Dégagez bande de merdes !»

Elle espéra qu'il transmette le message à Jace. Et qu'il se tire d'ici tout de suite avant qu'elle ne devienne violente. Avec son peu de force, elle n'allait pas pouvoir faire grand-chose, mais elle donnerait tout ce qu'elle a s'il devait s'approcher. Quelle conne. Ce qu'elle avait pu être conne.

Il riait. Il en avait rien à foutre d’elle, mais alors complètement rien à foutre. Ce qui confirma ce qu’elle pensait. Ils voulaient juste lui passer dessus et la faire souffrir. Un beau duo de connard. Elle pleurait, comme une merde, et ne répondit pas à la remarque débile du frère. Elles tombent toutes dans le panneau. Bien sûr qu’elles tombent toutes dans le panneau ! Si Jace se comportait comme ça avec toutes les filles, c’était bien normal ! Elle avait envie de hurler encore, mais elle ne voulait plus parler à ce mec. Elle pensait juste à Jace et à quel point elle s’était faite berné. À quel point son jeu allait beaucoup plus loin qu’elle ne le pensait. Elle avait imaginé jouer à un petit jeu où elle n’aurait pas à souffrir, où ils allaient simplement s’envoyer des petites piques, se draguer, et qu’ils soient en bons termes. Elle l’aimait bien. Elle pensait qu’il l’aimait bien aussi. Elle s’était foutu le doigt dans l’oeil, une fois encore. Une fois encore. Elle n’en pouvait plus de perdre dans ces circonstances. Elle n’était pas un jouet, non. Elle était fourbe, peut-être, joueuse et maline, mais elle essayait de ne pas dépasser les limites, elle n’aimait pas faire du mal aux autres, faire souffrir à en pleurer, c’était pas son genre. Elle jugeait ne pas mériter ça. Vraiment.

Le frère jumeau lui prit la main et malgré le fait qu’elle se débattait comme elle le pouvait, il la tira jusqu’à la porte et l’ouvrit. Et qui se trouvait derrière ? Jace, bien sûr. Évidemment. Il était là depuis le début. Si ça se trouve, ils avaient prévu de faire des trucs bizarres. Elle n’avait plus la force de faire quoi que ce soit, elle laissait juste les larmes couler à flot sur ses joues, regardant tristement et longuement Jace. Elle ne ressentait même plus de la haine, elle ne ressentait plus rien. Elle n’avait pas la force de s’énerver contre lui. Elle n’avait pas la force de le frapper, ni de lui dire quoi que ce soit. Elle avait juste la preuve ultime qu’il ne faisait que l’utiliser, depuis leur première rencontre. Et il pouvait se les foutre profond, ses baisers à deux pokédollars. Elle qui pensait qu’ils étaient vrais, elle qui pensait avoir noué quelque chose avec quelqu’un de bien. Elle qui pensait d’être fait un ami, un ami qu’elle appréciait plus de jour en jour. Elle s’était calmée une seconde, mais repenser à tout ça la fit tomber en sanglot encore une fois. Tomber au sens propre. Ses jambes flanchèrent et elle se retrouva accroupie entre Jace et son frère, les mains sur la tête, la tête entre les jambes. Une vraie pleurnicharde, une vraie soumise, une vraie gamine. Mais c’était trop. L’alcool et cette trahison qu’elle n’attendait vraiment pas. Vraiment, vraiment pas. Être bernée encore une fois, après avoir eu de la peine à se lier à quelqu’un. Entre deux sanglots, elle communiqua quand même. À bout de force.

« Bravo Jace, tu as gagné. J’espère que t’es content. Maintenant, casses-toi. »

Elle n’avait plus rien à dire.

Toutes ces émotions d’un coup, c’était trop. Ses oreilles bourdonnaient, elle entendait juste Jace l’enfoncer encore un peu, l’humilier, c’était trop. Trop d’humiliation, de haine. Elle qui pensait s’être endurcie après son passage chez Grimm, voilà qu’elle commettait la même erreur et se faisait trahir une deuxième fois. La même erreur ! Exactement la même ! Les dernières larmes coulèrent sur ses joues, puis plus rien. Juste le rire de son frère. Aussi machiavélique que lui. Elle s’était endormie, évanouie, qu’importe, elle n’avait pas pu supporter l’alcool et les émotions. Si seulement elle n’avait pas bu. Si seulement. Elle aurait écrasé Jace jusqu’à ce qu’il la supplie à genou et qu’il tente de se faire pardonner. Mais elle avait réagit n’importe comment. Il avait raison, au fond. Elle avait pleuré comme une enfant, elle savait qu’il s’agissait d’un jeu depuis le début. Mais ces mots... Ces mots l’avaient transpercée pour l’achever encore un peu. Un coup de poignard, plusieurs même. Il en avait vraiment rien à foutre. Et s’il voulait de ça, alors elle n’en aurait rien à foutre non plus. Les onces de sentiments qu’elle avait pu éprouver n’existaient plus et une haine brûlante s’était emparée d’elle. Elle ne sentit pas Jace la transporter, ni la mettre dans le lit. Elle était perdue et ses larmes séchaient lentement sur ses joues.

Elle se laissa sombrer sur le lit. Que Jace soit à ses côtés ou non, elle ne le remarquait pas. Elle était ailleurs, à bout. Le vide total. Et elle espérait qu’à son réveil, il ne soit plus là. Et qu’elle puisse changer de dortoirs. Qu’elle n’ait plus à le voir, jamais. Ce connard avait si bien joué son jeu, comment avait-elle pu y croire un instant ? Elle aurait du garder le même état d’esprit que lors de leur première rencontre. Un jeu, des piques, pas d’excès, pas de sentiments. Elle ne pouvait empêcher son corps de réagir, mais elle pouvait travailler sur ses ressentiments. Elle pouvait se maitriser et haïr à tout jamais cet homme. Et se venger, un jour. Comme elle devait se venger de Grimm. Tous les deux allaient être ses pires ennemis, maintenant. Des cibles, aucune expression, aucun sentiment. Juste des petits Rattata qu’elle devait éliminer.

Elle ne sait pas combien de temps elle resta inerte, mais quand elle se réveilla, sa tête lui cognait, son corps lui faisait un mal de Ponchien et c’était la nuit noire. Elle était dans le lit et difficilement, elle se leva et s’assit en tailleur en se tenant la tête entre les mains. Arceus. Elle mit quelques minutes à lutter contre son mal de tête et à ouvrir les yeux pour remarquer qu’elle était toujours habillée, que Maks et Krys n’étaient toujours pas revenus, allez savoir ce qu’ils faisaient et que Jace... Elle tourna la tête et le vit là, à côté d’elle, recroquevillé et encore endormi. Elle n’avait rien oublié. Comment pouvait-il oser s’installer là, comme si de rien n’était ? Elune se leva du lit et toute sa haine remonta d’un coup. Jace avait une petite gueule d’ange, endormi comme ça, elle aurait presque été attendrie s’il n’avait pas agit comme le parfait des connards. Là, Elune avait retrouvé ses forces et elle n’allait sûrement pas s’effondrer à nouveau comme tout à l’heure.

« Comment t’arrives encore à te montrer, connard ? »

D’un bond, elle sauta sur le lit pour atterrir sur Jace. Il se réveilla, évidemment, et elle lui tint les poignets tout en plaçant ses jambes d’une part et d’autre de son corps. Elle le regardait avec une telle rage qu’elle aurait pu le bouffer. Il n’aurait certainement aucune peine à la jeter sur le côté, mais elle allait résister du mieux qu’elle pouvait. Ses yeux brûlaient de haine, mais aucune larme ne se montrait. Elle était vidée, elle n’avait plus envie de pleurer, elle avait envie de lui faire comprendre à quel point elle le détestait.

« T’es content, sale merde ?! Tu pensais que ton frère allait pouvoir me passer dessus tranquille ? Mais putain, t’es quoi comme genre de type ? Hein ? »

Elle criait, l’insultait, elle était rouge de rage et ne pouvait plus se contenir. Comment avait-il pu venir s’installer à côté d’elle, comme si de rien n’était, comme si leur nuit ensemble tenait encore après ce qu’il lui avait fait ? Merde putain, il l’avait vendue à son frère et c’est limite s’il ne regardait pas du trou de la serrure !

Il avait les yeux encore presque clos, et lorsque la furie Elune était passée, il la dégagea d’un simple geste de la main avant de se tourner et de peut-être se rendormir. Elle prit son coussin et le lui envoya en pleine gueule avant de se lever. Elle partit un moment de la chambre pour aller prendre un verre d’eau dans la salle de bains et le boire d’une traite. Elle ne s’était pas encore complètement remise de son whisky en quantité. Elle laissa l’eau du robinet couler un moment, puis se rinça également le visage. Elle se regarda dans la glace.

« Il faut... que je réfléchisse. »

Son visage perlait, elle se sentait mieux. Un peu de rafraichissement, ça faisait du bien. « Jace n’est qu’un con ». Elle se remémora la scène entière, depuis le début. Les deux Wèngyard, sur le lit double improvisé, commençant un jeu innocent de « je n’ai jamais » un peu alcoolisé. Des petits flirts, rien de méchant, ils jouaient le jeu, ils s’amusaient bien jusque là. La saint-valentin. La journée s’était bien déroulée, bien qu’il ne lui avait envoyé aucun message, ce qui était rare ces derniers temps. Était-ce pour préparer son coup avec son frère ?

Puis le message qu’il avait reçu, et son visage. Il n’avait pas l’air content, mais Elune n’avait pas compris de quoi il s’agissait. Elle n’avait rien demandé, elle ne s’était pas mêlée de ses affaires, elle avait bien agit. Du moins c’est ce qu’elle croit. Puis Jace s’était levé, lui avait ordonné d’attendre ici, l’avait attirée près de lui. Juste avant de l’embrasser, il lui avait demandé de... de quoi déjà ? De se souvenir de leur baiser, quelque chose comme ça. Du goût. Elune écarquilla les yeux. Des idées virevoltèrent dans sa tête. Des idées qui lui semblaient absurdes, comme s’il lui avait donné un avertissement, comme s’il voulait qu’elle reconnaisse le baiser de  Jace ou le baiser de son frère. Mais non. Elle chassa vite cette idée de son esprit et se repassa le visage sous l’eau. Pourquoi essayait-elle de lui chercher des excuses ? Il n’en avait aucune ! Et le peu de choses qu’elle avait pu voir dans ses yeux, qu’elle pensait être de la sincérité, elle se força à les oublier. Il lui avait tendu un piège, il avait trop joué, et elle était tombée dans le panneau, ça s’arrête là.

Le regard vide, la rage redescendue d’un cran, elle retourna dans la chambre et vit que Jace était toujours sur le lit. Il n’en avait rien à faire. Pour lui, c’était un jour comme un autre. Peu importe la façon dont il avait traité Elune, apparemment il faisait cela avec toutes les filles assez connes pour le suivre et lui faire confiance. La jeune femme faisait partie de ce panier de naïves. Elle qui pensait mener la danse, parfois. Elle ne comprenait pas, elle n’arrivait pas. Elle ne comprenait pas comment on pouvait être aussi hypocrite, même si elle-même l’était souvent. Elle ne voulait plus l’approcher. Et s’installa sur une chaise loin du lit et l’observa. Qu’est-ce qu’il pouvait bien penser, là ? Qu’Elune n’était qu’une pauvre fille parmi tant d’autres ? Elle soupira. Elle voulait des réponses.

« Pourquoi moi ? »

Sa question paraissait stupide. Elle secoua la tête et reprit.

« Y’avait plein d’autres filles que tu n’aurais pas eu besoin de ravoir après ça, mais non. T’as choisi la meuf de ton dortoir, celle que tu croiseras tous les jours. C’est une satisfaction personnelle ? C’est ça, qui te fait tripper ? »

Pourtant, il avait l’embarras du choix. Il aurait pu trouver une fille encore plus naïve, qui aurait pleuré pendant deux semaines et qui aurait évité à tout prix de le croiser, mais non, il préférait prendre celle qu’il côtoyait tous les jours, peut-être pour voir à quel point Elune avait été touchée. Elle décida de ne pas le montrer. De contenir ses émotions. Il fallait qu’elle en parle à quelqu’un. Pas lui.

Il ne répondit rien. Et étonnamment, au lieu de la décevoir, ce silence boosta Elune. Elle s’était morfondue assez longtemps et après s’être vidée de tout sentiment, elle se sentait capable de reprendre Jace comme un partenaire de jeu, juste un petit moment, pour qu’il puisse comprendre qu’il ne trouvera plus de fille comme elle, qui s’amusait autant que lui à envoyer des piques et à se croire supérieur, à jouer constamment. Elle ne voulait pas partir en lui laissant l’image d’une Elune pleurnicharde qu’elle n’était pas. Elle voulait qu’il regrette, mais les larmes ne suffisaient pas, au contraire elle avait eu l’impression que pleurer lui avait d’autant plus plu, comme s’il menait la danse. Alors elle ne pleurerait plus devant lui et n’allait pas s’écraser comme la merde qu’elle était quelques heures auparavant.

Elle attendit quelques instants, voir s’il daignait dire quelque chose, mais à part un regard endormi, il ne fit pas grand-chose. Elle soupira et se rapprocha du lui avec un petit sourire. Elle pouvait changer du tout au tout. Elle était peut-être blessée, mais son jeu allait recommencer. Parce qu’elle savait sauver les apparences, qu’elle était parfaite comédienne et qu’elle ne voulait pas qu’il la voit quand elle est faible. Alors elle allait être forte et reprendre les choses en mains.

« D’accord, si tu n’as pas envie de discuter... »

Elle s’approcha du Wèngyard. Elle avait constamment un petit sourire, mais les yeux vides. Il était assis sur le lit et elle arriva à sa hauteur. Elle posa délicatement ses mains sur chacune des épaules du jeune homme et le bouscula doucement pour qu’il se couche sur le lit tout en suivant le mouvement avec son corps. Elle essayait d’envahir un maximum son espace grâce à la proximité. Elle avait une jambe entre les siennes et une autre appuyée sur le lit, alors que ses mains entourèrent le visage de Jace avant de plonger dans ses cheveux, les tirant légèrement vers l’arrière. Le corps d’Elune était presque étalé sur celui de sa victime, sa poitrine venant s’écraser sur le torse du Wèngyard. Son souffle était doux, chaud, et elle approcha son visage de son cou en l’effleurant des lèvres, lui donnant un baiser timide, juste de quoi provoquer des petits frissons, une once d’électricité, de quoi lui « montrer » qu’elle était encore de la partie, mais que cette fois, c’est elle qui allait la mener. Elle ne voulait pas rester sur une défaite, tant pis pour sa réputation, tant pis pour ce qu’il pouvait penser d’elle, elle s’en fichait royalement maintenant. Il n’allait être qu’un jouet de plus dans sa collection et redeviendra vite sans intérêt. C’était plus simple de le prendre comme ça que d’essayer de se faire une raison. Elle devait éradiquer tous les sentiments qu’elle éprouvait à son égard. Tous. Son petit manège l’aida à penser à autre chose. Alors qu’elle venait de lui donner un tout petit baiser, elle releva la tête et le regarda droit dans les yeux, un petit sourire en coin.

Elle ne le quitta pas des yeux pendant une seconde. Une seconde pendant laquelle un tas de choses lui était passé par l’esprit. La trahison de Jace, son frère, la saint-valentin, les moments passés ensemble, leur jeu, ses mots mortels. Puis elle posa ses lèvres sur les siennes. Elle l’embrassa, pas qu’un petit baiser timide, un baiser où elle mettait tout son coeur. Son amour et sa haine. Elle laissait une main se balader dans les cheveux de Jace alors que l’autre l’attirait encore un peu plus près d’elle. Le pire dans son jeu, c’est que ce baiser était un supplice. Elle aurait voulu ne rien ressentir, elle aurait voulu se jouer de Jace et le faire souffrir, mais son coeur battait très fort et de ce dernier émanait une douce chaleur qu’elle avait ressentie quelques fois auparavant. Avec Jace. Elle tenta de stopper ce sentiment, de le réprouver, mais elle prenait plaisir à l’embrasser. Elle espérait qu’il le remarque, qu’il soit déboussolé, qu’il entre dans son jeu pour qu’il puisse s’écraser de haut. Elle passa sa langue sur le coin des lèvres du Wèngyard avant de relever la tête, légèrement essoufflée, l’air satisfait. Elle aurait pu aller plus loin et lui faire voir ce que son frère avait loupé hier soir, mais l’événement était encore trop récent pour jouer dans la cours des grands. Elle pencha la tête de côté et laissa un nouveau petit sourire apparaitre.

« Tu as intérêt à te souvenir du goût de celui-là, parce que ça sera la dernière fois. »

Elle se releva, se dirigea vers son armoire et se changea rapidement.

« Je dois quand même te le dire, ton frère embrasse mieux que toi. Il est plus sauvage, c’est amusant. »

Petites piques. Petits poignards. Elle était vide. Elle quitta les dortoirs en claquant la porte, sans dire un mot de plus.