Tu avais besoin de prendre l’air, de t’éclipser de cette académie qui commençait gentiment à envahir toutes tes pensées et tout ton quotidien sans te laisser respirer, t’étouffant petit-à-petit. Ce qui t’étouffait surtout, c’étaient les événements récents et ta réputation de plus en plus malsaine auprès des élèves autant qu’auprès des professeurs. La « violation de domicile » du professeur Grimm t’avais déjà fait perdre cent points pour ta maison, et tes relations avec les Wèngyard n’étaient pas des meilleures en ce moment. Tu pensais surtout à Jace, qui t’avais bien pourri la vie cette semaine. D’abord cette histoire avec son frère jumeau dont tu ignorais l’existence, puis les quelques rares fois où tu l’avais croisé sans que cela ne te comble de bonheur… Aujourd’hui, tu avais envie de t’évader, de penser à autre chose, de prendre un grand bol d’air frais et revenir confiante à ton dortoir, ce soir, réussir à défier Jace s’il était là, t’endormir avec le cœur léger. Une cure d’extérieur.

« Allez, Chrom, tu peux sortir. »

Tu laissas ton pokémon prendre l’air lui aussi, alors que tu marchais tranquillement en direction du lac qui entourait l’académie. Suivant la direction qu’on prenait, on pouvait marcher plus ou moins longtemps pour y arriver, mais tu empruntas le chemin le plus court, celui qui menait à un petit coin de paradis, avec quelques bancs, des arbres et des pokémons qui gambadent sans vouloir te faire de mal. Absol fut heureux de sortir de sa pokéball et étira tous ses membres avant de se ranger à côté de toi et de suivre le moindre de tes gestes. C’était un pokémon fidèle, prêt à tout pour te protéger. Et tu l’aimais plus que tout au monde, il te redonnait le sourire dans les moments les plus difficiles et il savait te réconforter quand ça n’allait pas. Il t’avait d’ailleurs été d’une grande aide tout le long de cette semaine, pour sécher tes larmes et te laisser se blottir contre son pelage doux et confortable. Tu ne savais pas ce que tu ferais sans lui à tes côtés.

Tu arrivas enfin à l’endroit que tu espérais, un petit coin intime et reposant, où seule une brise froide mais agréable soufflait irrégulièrement sur Idryss. Tu soupiras de bonheur lorsque tu vis que personne n’était dans les parages et que ton moment de solitude et de rédemption allait être des plus tranquilles qu’il soit. Tu t’installas sur un banc, les jambes croisées, et t’alluma une cigarette, ces cancers en tube dont tu ne pouvais te passer. Chrom grogna, il n’aimait pas que tu fumes, mais il se coucha à tes pieds et ne dit pas un mot de plus. Un silence agréable régnait, seule la cigarette qui se consumait au bout de tes doigts laissait un petit crépitement se faire entendre. Et tu profitas de l’instant présent.

Chrom ronflait presque, trop bien installé collé à tes jambes, alors que tu profitais de l’air frais et du calme de cet endroit paisible en fermant les yeux et en respirant à grandes bouffées. Rien ne pouvait t’atteindre, ici, car tous tes soucis s’évaporaient au fur et à mesure que tu t’évadais dans tes pensées positives et que tu te détendais sur ce petit banc en bois. Un sourire traversa même ton visage, un sourire sincère, un sourire que tu n’avais pu jeter à personne depuis ton arrivée à l’académie. Tu étais détendue, bien, tu aurais pu passer le reste de ta journée sur ce banc tant il était réparateur.

Mais quelque chose te tira de ton sentiment d’apaisement total. Un pokémon. Tu ouvris les yeux pour remarquer qu’un petit Tarsal fonçait droit sur Absol et toi, insouciant, apparemment sans chercher le combat mais plutôt à jouer avec vous. Il te surprit d’abord, et tu ne sus comment réagir, mais tu finis par sourire et accueillir ce petit pokémon comme s’il s’agissait déjà d’un nouvel ami. Tu aimais tellement les pokémons, ils étaient toute ta vie, tes meilleurs amis, ceux qui te comprendront quoi qu’il arrive. Et ce petit psy te faisait craquer, fonçant tête baissée comme si rien ne pouvait lui arriver. Absol appréciait aussi sa présence, et se leva pour mieux observer ce petit spécimen. Il y avait une différence de taille assez phénoménale.

Et alors au moment où tu allais prendre le petit Tarsal dans tes bras, tu sentis une présence humaine à tes côtés, et tu tournas la tête pour reconnaitre clairement un visage qui t’étais familier. Tu te figeas, incapable de faire un geste de plus, abandonnant complètement les pokémons qui se trouvaient à côté de toi, absorbée par le fait de trouver Jace ici. Jace. Tu restas un instant sans rien dire, puis tu détournas le regard et prit ton paquet de clopes pour t’en allumer une, sans en proposer à ton colocataire. Tu tremblais et dans ta tête, tout se mélangeait. Tu avais envie de partir, et en même temps, tu avais envie de lui lancer une réplique cinglante juste pour continuer votre petit jeu du chat et de la souris et lui montrer que tu ne lâchais pas, malgré le coup de pute qu’il t’avait fait. Tu le toisas du regard.

« Tieeens, Jace… Dommage que tu ne sois pas aussi mignon que ton Tarsal. »

Tu plissas les yeux pour lui faire comprendre que tu n’avais pas envie de discuter, que tu avais plutôt envie qu’il parte, parce que jusqu’ici tu étais bien, le corps détendu, l’esprit vide, et que maintenant, des picotements désagréables te prenaient de partout et ton sang bouillonnait. Pourquoi devais-tu le croiser ici, maintenant, le jour où tu avais besoin de penser à autre chose ?

« Ça doit être un truc entre ton pokémon et toi, de me courir après ? »

Tu savais que tes répliques n’auraient que peu d’impact, mais tu voulais lui montrer que tu étais prête à accuser les coups et à entendre les saloperies qu’il avait à dire sur toi. Parce que, sans que tu ne comprennes pourquoi, il te détestait autant que toi tu le détestais. Et pourtant, le connard dans l’histoire, c’était lui, et pas toi. Et voilà qu’il ne pouvait plus te blairer. Un petit pincement au cœur te fit mal, alors que tu luttais pour garder la tête haute. C’est pas ce pauvre mec qui allait te faire du mal, si ?

La façon dont il te regardait, ça te faisait presque mal au coeur. Tu préférais le regard qu’il avait il y a quelques semaines, quand vous parliez sans vous prendre la tête, quand tu sentais que ton coeur s’emballait lorsqu’il s’approchait de toi et que tu espérais le croiser au moins une fois dans la journée, parce que ça te faisait du bien. Il n’y eut besoin que d’une soirée pour tout gâcher, pour te faire comprendre que le bonheur, c’était peut-être pas pour toi, que t’étais destinée à rencontrer des connards qui profitent de toi et te laissent tomber la minute d’après.

Jace soupira et s’assit à côté de toi. T’avais presque hésité à te lever et partir tant tu ne voulais pas le voir, mais tu restais scotchée à ce banc. Absol avait ouvert un oeil, comme pour surveiller le jeune homme qui venait d’arriver, parce qu’il connaissait toutes tes histoires et qu’il n’appréciait pas beaucoup tous ces gens qui te faisaient du mal. Tu te baissas pour lui caresser la tête, le rassurer, afin qu’il ne bondisse pas sur Jace pour le défigurer, pendant que ce dernier t’annonça qu’il préférait que vous fassiez comme si de rien n’était, en gros. Comme s’il n’y avait jamais rien eu, parce que ça sera plus simple. Ton coeur fit un bond, tu étais étonnée, tu ne voulais pas et tu voulais en même temps, et tu mis quelques secondes à encaisser sa phrase, cette phrase qui voulait signifier que plus rien jamais il ne se passera quelque chose entre eux. C’est con, parce que tu devrais t’en réjouir, et accepter joyeusement cette proposition, mais ça te touchait, ça te faisait mal et t’avais l’impression qu’on t’enfonçait encore un peu plus dans le gouffre dont tu avais déjà de la peine à sortir. Tu ne trouvais pas tes mots, parce qu’il te faisait chier, encore une fois. Et que t’avais envie de lui dire un millier de choses, mais que tu devais trier et éviter de dire des choses que tu regretteras.

« Facile à dire, c’est pas toi qui a failli te faire baiser par ma soeur jumelle... »

Ok, ce n’était peut-être pas la meilleure chose à répondre, mais tu l’avais fait quand même, parce que tu l’avais encore en travers de la gorge. Tu voulais savoir pourquoi il avait fait ça, mais finissait par te dire qu’il s’agissait juste d’un petit jeu entre lui et son frère et qu’il n’y avait aucun fond à cette histoire. Tu ne voulais plus y penser, alors tu soupiras et jeta un petit regard à Jace. Il avait l’air complètement indifférent, il ne te regardait même pas, et sa façon de parler était neutre et lasse. En gros, il n’en avait plus rien à foutre de toi, et tu commençais à le remarquer. Au moins, quand tu t’engueulais avec lui, il te portait un peu d’attention. Là, son choix était clair. Il ne voulait plus de toi, même pas pour te détester. Alors merde, tu le haïssais mais t’avais toujours cette envie incompréhensible de le voir et de lui parler, même pour lui envoyer des saloperies. Ton corps se vida de toute émotion, ton visage aussi, et ton coeur semblait se déchirer encore un peu plus qu’il ne l’était déjà.

« Très bien, restons amis. Si la réputation des Wengyard te tient à coeur autant que ça. »

Tu étais déçue, et triste. Et tu n’arrivais pas à te l’expliquer. Parce que pour une fois, t’avais trouvé quelqu’un avec qui tu pouvais être toi-même, avec qui tu t’entendais bien, avec qui tu avais envie de passer du temps sans penser à autre chose. Et il avait tout gâché, et il gâchait tout une fois de plus.

« Peut-être qu’il n’y aura plus jamais rien, mais tu ne peux pas dire qu’il n’y a rien eu. En tout cas moi, je n’oublierai pas tout en claquant des doigts. T’as peut-être ce pouvoir, mais moi non. »

Tu parlais autant de l’histoire avec Neam que ce qu’ils s’étaient passés entre vous avant ça. Tu n’allais pas pouvoir oublier, c’était trop facile de se dire ça. Et si lui pouvait le faire, toi tu en étais incapable, et tu te demandais bien comment il pouvait faire pour être aussi glacial, pour ne pas se rendre compte qu’il blessait les gens, et qu’il pouvait passer à autre chose si rapidement.

Il répondit en t’imitant, lorsque tu lui avais dit que son frère embrassait mieux que lui, juste pour l’enfoncer un peu, parce qu’il t’avait blessée et que tu voulais qu’il le soit aussi. Il n’avait pas apprécié la remarque et tu regrettais presque de la lui avoir balancé la dernière fois, mais plus tu y réfléchissais, plus tu te disais qu’il n’avait pas à agir comme ça et qu’il avait bien cherché tous les mots que t’avais pu cracher à son visage. Tu avais des regrets, mais ils concernaient plus la façon dont il t’avait traitée que la façon dont tu lui avais répondu. Parce que sans cette histoire de merde, t’aurais peut-être pu l’apprécier, parce que vous étiez sur la bonne voie.

Tu ne relevas pas sa petite imitation, trop blasée pour lui renvoyer des piques, et tu regardas au loin. Tu avais de toute façon l’impression qu’il évitait ton regard et il faut dire que tu n’avais pas particulièrement envie de devoir le regarder dans les yeux et repenser aux quelques jours que vous aviez passés ensemble et où tu pouvais ressentir quelque chose qui se rapprochait des sentiments. T’avais envie d’oublier cette histoire et l’enterrer derrière toi, comme tu avais envie aussi de retourner en arrière et changer les choses, parce que tu ne pouvais le nier, sentir sa présence à ses côtés ne te laissait pas indifférente.

Mais tu chassas rapidement ces idées et tourna la tête pour le regarder l’espace de quelques secondes. C’est le seul moment depuis qu’il était arrivé où il soutenait ton regard, avant qu’il ne tourne à nouveau la tête. Tu soupiras. Et lorsqu’il t’annonça être déjà passé à autre chose, tu t’enfonças un peu plus sur ce banc. Tu avais l’impression que ton coeur pesait une tonne et que ton corps ne voulait plus bouger. Tu secouas quand même la tête, sondant le sourire hypocrite qu’il te lançait. Hypocrite, ou simplement pas sincère. Il baissa même les yeux et tu plissas les tiens. Qu’est-ce qu’il était en train de vouloir lui dire ? Était-ce vraiment ça, ou s’empêchait-il de dire autre chose ? Tu voulais insister et tu voulais baisser les bras en même temps. Tu ne le comprenais pas et tu n’étais pas certaine de vouloir comprendre. Au final, tu sentais ton coeur se serrer, un malaise grandir en toi et un sentiment d’inconfort que tu aurais voulu chasser, mais qui persistait.

« Bien... »

Il t’était difficile de répondre autre chose. Tu sentais un vide en toi, mais ton esprit était partagé entre plusieurs sentiments qui se battaient les uns les autres pour savoir qui prendrait le dessus. T’avais envie de te rapprocher de Jace comme tu avais envie de le laisser planter là, parce qu’il en avait définitivement plus rien à foutre de toi et que tu savais que ça ne servait à rien d’insister. Mais t’avais pas la force de te lever, ni de le quitter, parce que quelque chose te criait que tu n’en avais pas fini avec lui, que tu n’avais pas envie qu’il t’ignore et ne te parle plus jamais comme avant. Avant... Comme s’ils avaient vécu une histoire ensemble. Tu te sentais ridicule.

« Ravie de voir que cette histoire te touche tant que ça. J’ai... été déçue et... »

Tu ne savais pas si tu devais lui dire ce à quoi tu pensais, mais au final, s’il était vraiment passé à autre chose, c’était juste pour te libérer et ça te ferait du bien. Peut-être.

« ... pour moi, ce n’était pas rien. J’ai bien compris que c’était votre truc, de détruire toutes les filles sur votre passage sans penser à ce qu’elles ressentent. C’est juste que ça fait mal et moi, je ne passerai pas à autre chose si facilement. Alors ne t’étonne pas si je n’utilise pas le mot « ami » pour parler de toi. »

Tu ne te sentais pas beaucoup plus soulagée, mais au moins tu l’avais dit. Et maintenant, tu n’avais plus aucune raison de rester. Il savait plus ou moins ce que tu ressentais et t’espérais qu’il puisse un jour se rendre compte de ça. En même temps, prononcer ces mots t’éloignas de lui. C’était peut-être un premier pas vers le « restons amis ».

Quand il affirma que ce n’était pas « leur truc » de faire souffrir les filles qu’ils rencontraient, tu eus un haussement d’épaule instinctif, ne sachant pas trop si tu devais le croire ou non. Tu voulais y croire, parce que tu préférerais que les jumeaux ne soient pas de parfaits connards, mais jusque-là ils n’avaient rien fait pour te prouver le contraire. Alors ton esprit était embrouillé, tu ne savais plus trop de quel côté te mettre, ni vraiment ce que tu étais en droit de penser d’eux. Parce qu’en un sens, tu l’avais cherché, t’avais joué avec Jace et il avait joué avec toi. C’était donnant-donnant. Mais il y avait été un peu fort, quand même…

Et il s’approcha de toi, calmement, discrètement, tu n’avais à peine remarqué ses mouvements mais tu avais bien senti sa main sur ta joue, qui te faisait tourner la tête pour que tu le regardes dans les yeux. Une chaleur agréable s’en dégageait, une chaleur qui te faisait presque te sentir mal à l’aise, parce que c’était agréable de le sentir te toucher, parce que t’avais envie qu’il le fasse, mais que t’avais envie de le repousser en même temps, parce que t’avais toujours pas tout digéré. Mais tu le laissas faire et ton regard était planté dans le sien. Et ce que tu y trouvas te surpris. Il n’était pas glacial et indifférent comme tout à l’heure, il n’essayait pas d’éviter tes yeux. Jace semblait plutôt triste, ou un sentiment qui se rapprochait de la tristesse. Tu ne savais pas, tu te posais trop de questions, si son regard en ce moment-même était sincère ou pas, si tu devais fondre en voyant ses yeux qui partageaient enfin quelque chose avec toi, si tu devais rester de marbre… Mais ton visage était trop expressif pour cacher ce que tu ressentais. Et il y verrait certainement un mélange de sentiments pas très positifs.

Et il déposa un baiser sur ta joue. Le geste que tu attendais peut-être désespérément, parce qu’il renvoyait un paquet de trucs qu’il n’aurait pu te dire oralement. Déjà, il ne t’avait pas embrassée et tu étais rassurée. Il avait compris qu’il t’avait blessée et que tu n’apprécierais pas qu’il se croie tout permis, à l’embrasser à tout-va. Et ce baiser était doux, trop rapide à ton goût, il te faisait du bien et du mal en même temps. Tu prenais ça comme un moyen de se faire pardonner, et cette idée se confirma lorsqu’il s’excusa. Tu fermas les yeux une seconde pendant laquelle il se releva du banc. Tu n’avais pas envie qu’il parte, maintenant. Parce que t’avais envie de savoir pourquoi Jace agissait ainsi, pourquoi tout n’avait pas été plus simple dès le départ.

Tu ne savais pas quoi lui dire et tu regardas son Tarsal, qui était resté un instant après lui, un regard particulièrement touchant, comme si ce pokémon comprenait tout de la situation, de leurs sentiments à tous les deux et qu’il encaissait autant qu’Elune et Jace encaissaient eux-mêmes. Tu lui fis un maigre sourire, pas forcé mais difficile.

« Jace doit cacher beaucoup de choses aux gens qui l’entourent… »

Et t’aurais pu être celle qui l’écoute, celle qui aurait réussi à le délivrer. Tarsal s’en alla et il ne restait que Chrom et toi. Il ne faisait pas froid, mais tu frissonnais. Tu ne savais pas si cette rencontre avait été un cap, si tu allais un jour comprendre Jace, si tout allait redevenir comme avant. Alors tu restas plantée là encore longtemps avant de te décider à rentrer toi aussi, le baiser et les excuses de Jace revenant sans cesse dans ton esprit torturé. Tu ne pouvais pas oublier.