Engourdi par la drogue qui circulait dans son sang suite à un séjour dans ses poumons, Adam se laissait aller au rythme des imageries poétiques qui parcouraient sa tête. Les yeux fermés pour ne rien manquer du spectacle, toute son attention était pourtant dirigée sur Krystina, dont il dévorait chaque confession avec un sentiment de victoire. Démasquer ses réelles craintes n'était pas un accomplissement en soi, mais d'avoir compris que ce n'était pas simplement une question de fierté qui la poussait à vouloir limiter leur amitié le soulageait, au fond.

Il avait très vite deviné qu'elle sortait du lot, que son bagage n'était pas le même que celui de n'importe quel étudiant de Primepoc. Il ne se basait pas sur ses cheveux ou encore son style vestimentaire. Non, pour lui ce n'était rien de plus qu'un fashion statement. Elle dégageait une certaine expérience, un vécu auquel il ne pourrait jamais s'associer et avec raison; sa vie jusqu'à maintenant n'était que le parcours de l'étudiant lambda saupoudré d'un peu de frivolité.  Sans aucun doute elle pourrait lui en apprendre davantage que lui ne pourrait le faire. Ses déboires, ses moments de réflexion, sa prise de conscience du monde qui l'entourait. C'était aussi ça, vivre. Il reprit le joint entre ses doigts, le portant à ses lèvres. Juste avant d'en aspirer un coup, il le retira de sa bouche, confus dans ses propres mouvements. Après quelques secondes à réajuster sa coordination cerveau-main, il lui parla, c'était beaucoup plus facile.

"À t'entendre, on dirait que c'est mal. D'avoir choisi de vivre différemment, l'espace d'un moment. L'intelligence...est tellement un concept vaste... et subjectif. Propre à chacun. La vie réelle ce n'est pas que d'être assis sur un banc d'école, Krystina. Tu l'as dit toi-même, tu as vécu. Au lieu d'apprendre une formule mathématique que tu ne verras probablement jamais l'utilité de ton vivant, tu as découvert, tu as expérimenté, tu as vu de tes propres yeux. C'est wow...c'est impressionnant. Je ne peux même pas imaginer le tiers de ce que tu pourrais m'apprendre sur la vie. Alors, à côté de tout ça, ma leçon d'algèbre on en a rien à foutre."

Il était vraiment sincère lorsqu'il lui disait ça, peut-être même émotif, à en juger le léger trémolo dans sa voix sur la fin de sa tirade, merci le cannabis. Et c'était vrai. Sa tête était bourrée d'informations, de méthodologie et de concepts. On le préparait à ce qu'elle avait déjà vécu, elle. On lui gâchait la surprise, aussi. Avec un abandon des plus total, il se laissait bercer par la sensation, un sourire indélogeable sur son visage alors qu'il l'écoutait. Il tira quelques bouffées du joint qui arrivait sur sa fin et donna le reste à Krystina en guise d'offrande. Il était heureux du moment qu'il partageait avec elle, en ce moment. Elle avait donc peur, effectivement. Ça lui semblait ironique en un sens qu'elle perçoive sa situation comme une perte de temps, une frivolité d'adolescente, alors que lui l'enviait. Elle désirait retomber sur Terre, mais craignait que la chute ne lui soit fatale.

"Y'a pas vraiment de secret pour changer. C'est de mettre un pied devant l'autre et de progresser sans chercher à savoir ce qu'il y a à la fin, tu comprends? Si tu ne regardes que la ligne d'arrivée, c'est sûr que tu vas avoir peur de tout ce qu'il y a entre toi et ton objectif. Puis, ne pense pas que tu commences à zéro. Ma mère m'a toujours dit, attention!" Il toussa un peu avant de reprendre. "Pour savoir où on va, faut se rappeler d'où on vient. Si tu regardes en rétrospective tout ce que tu as vécu, j'suis sûr que cette académie c'est rien, en comparaison. Puis, t'es pas toute seule...Y'a ce Maks, aussi. Et... Et l'humble serviteur que je suis. "

Il se demanda si c'était une bonne idée de s'inclure là-dedans, mais le mal était fait. Sa prochaine remarque concernant les enfants de l'académie, lui arracha un rire franc, peut-être un peu beaucoup plus fort qu'il n'aurait dû l'être, mais dans son état, dur de faire mieux. C'était fort, comme truc.

"En même temps, c'est dur d'être plus jeune que toi. T'as quoi, vingt ans?" Il l'avait stalké un peu sur les réseaux sociaux, mais pas trop non plus, hein. "C'est sûr que t'y échapperas pas, aux remarques sur tes cheveux. Tu l'as un peu cherché, en même temps. Y'a que ça, dans cet établissement, des gosses comme moi qui connaissent rien du tout à la vie et qui voient des cheveux bleus comme le truc le plus hardcore au monde." Il se redressa un peu sur son siège de fortune, se sentant glisser depuis tout à l'heure. Un petit gémissement pour témoigner de l'effort considérable que ça lui demandait. "De toute façon, même si t'étais vraiment bleue partout, ça regarde personne et quand ils auront compris que c'est pas la fin du monde, ils vont arrêter de le remarquer."

Après cette remarque douteuse, il taquina le feu avec un bout de bois qui traînait non loin.

"Plus sérieusement, quant à tes aspirations futures. Donnes-toi du temps. Même moi j'ai aucune idée de ce qui me ferait vraiment envie."

Il tourna la tête vers elle, un petit sourire en coin.

"Sinon, t'as encore peur de me présenter à tes potes Wèngyard?"

Quand il était défoncé, il adorait parler. De tout, même que souvent ça ne menait à rien. Il aimait explorer, échanger des points de vue, chose qu'il ne faisait pas en temps normal. Il s'accordait un répit de la vie normale, arrêtait de juger les autres et se laissait prendre au jeu. Parce qu'il était bon joueur, après tout. La preuve, toutes les conneries qu'il a fait subir à Krystina et toutes celles qu'il s'est pris en retour. Ça devait bien prouver quelque chose. À cet instant, dans un état stable s'apparentant à de la plénitude, il cherchait à voir comment lui et elle, deux individus au cheminement opposé pouvaient trouver un terrain d'entente.

C'était compliqué de trouver un juste milieu entre les deux, justement parce qu'ils n'avaient pas les mêmes référentiels. Si lui trouvait quelque chose banal, elle pouvait y déceler une qualité insoupçonnée. Il devait donc se concentrer sur ce qu'ils avaient en commun. Encore fallait-il qu'il sache ce qu'ils avaient en commun.

Pour elle, c'était quoi un enfant? Quelqu'un de jeune, tout simplement? Pour lui, c'était quelqu'un qui manquait d'expérience, peu importe l'âge physique. Et des jeunes, il en voyait toujours. Même ses parents, il les considéraient comme jeune. Jeune de coeurs, mais également parce qu'à part leur village, à part leur boulot, ils n'avaient rien vu du monde les entourant. Autant avant qu'après la venue d'Ydriss, selon les dires. Alors oui, il se considérait toujours comme jeune, mais ne s'empêcha pas de sourire face à ce qu'elle lui disait. Ce n'était pas plus mal, au fond, d'avoir un point de vue différent de la chose. Elle mentionna ensuite sa couleur de cheveux, un sujet qu'il perçut comme risqué l'espace d'un instant, mais dont elle effaça les soupçons instantanément avec son rire. Il prit une mine faussement choquée, à son tour.

"Hein, quoi, pour vrai? T'es vraiment née comme ça? Je suis désolé, je savais pas.."

Un coup de coude au niveau des hanches. Tiens, c'est la première fois qu'elle le touchait de son propre gré. Déjà que tout à l'heure, elle ne semblait pas spécialement réceptive lorsqu'il plaça son bras autour d'elle. Sans doute la drogue qui lui faisait perdre ses inhibitions.

Puis, la conversation tomba dans la sérieux et le second degré lorsque le sujet des Wèngyard fut abordé. Il était étrangement attiré par les gens de cette maison, surtout par souci d'affinité. Les gens lui ressemblaient, plus que la plupart des Minspic, cela dit. Toutefois, il ne partageait pas vraiment leur idéal de "plaisir". Hédoniste dans l'âme, il évitait la plupart du temps les histoires de disputes entre ces membres qui semblaient être omniprésentes. À moins que ce soit lui qui cause la dispute, il n'en retirait rien de bon. Par contre, il devait bien l'avouer, les filles chez les Wèngyard sont généralement plus belles que dans les autres maisons. Mais il garderait ça pour lui. Elle mentionna alors Elune.

"Haha, oui. Ça date du jour de la rentrée. Je l'ai vu et y'a eu ce fameux déclic. Tu sais, quand tu vois une personne et que tu penses tout de suite «Hey, ce serait cool d'aller l'embêter, pour voir». Alors je lui ai sorti des trucs invraisemblables, des histoires de macho et elle a tout gobé. Du coup, c'est un peu ma victime préférée. Mais ça va, elle est cool, elle se laisse pas faire."

En même temps, si elle était résignée à se laisser embêter, elle perdrait de son intérêt. Il tourna la tête vers elle pour remarquer son sourire qui laissait présager qu'il y avait eu autre chose. Ses yeux s'agrandirent aussitôt.

"Ha non! Tu te trompes! Non, j'ai jamais couché avec une fille. Encore moins avec Elune."

C'était dit avec un naturel déstabilisant. Le réel des garçons de son âge, c'était qu'il fallait à tout prix coucher avec une fille pour accéder au statut d'homme. Pour lui, c'était le contraire. Même à son âge, il n'avait pas l'impression de manquer quelque chose.

"Je veux dire, on a dormi dans le même lit, mais rien de plus. Puis bon, avec ce qui s'est passé l'autre jour, j'aime mieux ça comme ça. C'était pas très invitant, comme atmosphère."

Voilà les fameuses histoires de Wèngyard auxquelles il pensait, tout à l'heure. Avec les deux jumeaux et tout. Elle semblait avoir suffisamment de problèmes, pas besoin d'en rajouter davantage.

"Pourquoi, j'aurais dû?"

C'était dit sans arrière-pensées, comme un automatisme. Au fond, même si elle était jolie, il était loin d'être sûr que c'est avec elle qu'il voudrait passer ce premier moment intime. Et puis bon, poser la question c'était un peu se répondre, aussi.

"Changeons de sujet. Mes amours, on va faire le tour assez rapidement. On pourrait, je sais pas, répondre à ça: «Comment les miroirs sont-ils réels si nos yeux ne sont pas réels». J'ai trouvé ça sur Internet."

Il rigola devant l'absurdité de la chose. Puis, l'illumination.

"Ah non, mieux encore. On va aller se promener dans le bois. Doit bien y avoir des trucs intéressants à voir."

Il se leva avant de regarder autour de lui. Pas un nuage dans le ciel, les étoiles et la lune donnaient de la visibilité au paysage, mais la forêt, elle, assombrissait tout. Puis, elle n'avait pas l'air d'être du genre à avoir peur, donc c'était parfait.