Depuis quelques jours déjà un bouleversement soudain s'était manifesté dans la vie de la petite Amy, la forçant à porter ce petit masque qu'elle avait pourtant essayé de laisser de côté. Il lui servait à cacher sa tristesse, ses inquiétudes et même parfois son sérieux. Elle avait toujours préféré qu'on la voit comme une enfant à la limite de la niaiserie extrême, voire d'un cas désespéré que l'on ne pourrait jamais sauver. C'était ainsi qu'elle se faisait voir aux yeux des autres, parce qu'elle ne souhaitait pas se lamenter, ni même faire perdre leur temps à quelque personne susceptible de prêter attention à elle. Son but dans la vie c'était de rendre les gens heureux, quitte à ce qu'elle-même tourne les pics qu'on pouvait lui lancer dans ses plaies, les faisant saigner davantage qu'elles ne le faisaient déjà. Il n'y avait pas d'exception à ce jeu de mensonges, pas même sa propre famille. Que ce soit son aînée, son cadet ou même ses grands parents jamais Amy n'avait daigné pleurer devant eux parce qu'elle leur était reconnaissante d'avoir, autrefois, tenté de protéger un maximum sa joie et sa bonne humeur, de lui avoir tant apporté sans rien attendre en retour de sa part. Et oui, elle avait changé sur bien des aspects la jeune Salford, mais il y avait des moments où elle avait besoin d'évacuer.

Cette fois-ci la cause était son frère. Il ne s'agissait pas là d'une simple petite querelle, ou même d'un léger sentiment de solitude : cette fois il avait été beaucoup trop loin et l'avait atteinte directement au cœur. Même si elle ne lui avait pas clairement montré, aussi stupide soit-il il finirait probablement par s'en rendre compte... enfin peut-être. Elle se souvenait encore clairement de la scène : Glen lui hurlant dessus pendant qu'elle cachait désespérément son cadeau dans son dos, puis les mots de celui-ci remplis de venin consumant progressivement la petite qui finit par ne plus pouvoir supporter cette cruauté venant de lui. Dans un acte désespéré elle lui avait alors donné son cadeau avant de s'enfuir, essayant d'agir comme si de rien n'était en prétendant aller s'excuser auprès de l'infirmière pour la gêne occasionnée. Cependant elle était simplement partie se réfugier dans un coin isolé pour se vider de ses larmes et se revêtir de cet éternel masque enfantin et souriant qu'elle conservait presque en permanence à portée de main. Qui pourrait soupçonner cette boule d'innocence de cacher tant de tristesse en elle ; cette jeune fille pourtant réputée pour se rouler par terre dans les couloirs, pour être paresseuse et attachante à souhait ?

Pourtant elle continuait à agir comme si tout allait bien, souriant à tout bout de champ mais il lui arrivait régulièrement de disparaître : personne ne savait où, mais on ne se posait pas beaucoup de questions car probablement était-elle encore en train de préparer une bêtise afin d'attaquer son grand-frère chéri. Contre toute attente la Namethia se rendait assez fréquemment au lac afin de s'asseoir non loin de l'eau, rompant de temps à autre le calme de ce lieu par quelques petits sanglots étouffés. Ce jour-là ne fut pas une exception à son petit rituel puisqu'elle se faufila à travers les élèves et se précipita vers l'immense source aqueuse, serrant fortement son haut au niveau de son cœur : il lui faisait horriblement mal, comme si quelqu'un cherchait à le broyer ; c'était désagréable et cela lui faisait monter les larmes aux yeux. Mimisagi la suivait du mieux qu'elle le pouvait, ayant parfois du mal parce que sa dresseuse était tout de même plutôt rapide, certainement grâce à l'entraînement suivi pour pouvoir accomplir ses bêtises en toute discrétion et permettre une fuite plus facile.

Profitant de ce moment de solitude, Amy se mit à repenser à sa famille. Et pour une raison qu'elle ignorait, elle tenta de s'imaginer à quoi ressembleraient ses parents s'ils étaient encore en vie. Dans sa chambre elle avait encore une photo d'eux, mais elle n'avait pas grand intérêt puisqu'elle ne les avait presque pas connus alors il était difficile de ressentir beaucoup d'affection. Certes ils l'avaient élevée pendant quelques années, mais ce n'était pas suffisant pour qu'elle se souvienne vraiment d'eux. Et pourtant, très souvent, sa grand-mère lui répétait en la coiffant qu'elle ressemblait énormément à sa mère et cela intriguait énormément la benjamine. Était-ce physiquement, ou mentalement ? Ou plutôt, était-ce sa façade ou ce que sa mamie voyait de vrai en elle ? Ces réflexions avaient toujours laissé la petite blonde perplexe, mais elle préférait la première option même si l'idée d'être appréciée pour quelque chose qu'elle n'était pas pouvait être un peu frustrant. Même si c'était son choix à elle, il lui arrivait parfois de se dire qu'elle aimerait être aussi 'parfaite' qu'elle se donnait l'air, aussi solide qu'elle le faisait ressortir. Mais dans le fond elle se détestait parce qu'elle était faible, qu'elle pleurait régulièrement mais ça personne ne le savait parce qu'elle avait honte et qu'elle se cachait comme une lâche.

« J'ai envie de les voir... j'essaie de les rendre heureux mais je fais tout le contraire... à croire que je suis vraiment stupide. »

Même Glen elle voulait le voir, malgré toutes les horreurs qu'il avait pu lui lancer à la figure. Rien que de se remémorer ses paroles firent pleurer davantage la Namethia, qui s'empressa d'essuyer ses yeux dans un geste désespéré. Elle donnerait n'importe quoi pour l'entendre jouer de sa guitare, ou Faith de son violon. Car oui, la musique c'était un peu comme une tradition dans la famille : leur grand-mère jouait du piano, et elle l'avait enseigné à leur mère ainsi qu'à Amy elle-même, qui prenait beaucoup de plaisir à y jouer. D'ailleurs c'était probablement l'un des seuls moments où on pouvait l'observer dans son état naturel paisible ; ce qu'elle était avant de décider soudainement de changer pour s'ouvrir un peu plus au monde. Fermant les yeux elle s'imagina à nouveau appuyer délicatement du bout des doigts sur les touches du clavier ivoire, jouant ainsi divers morceaux tous plus mélancoliques les uns que les autres. Un à un ses souvenirs refirent surface dans sa tête, ceux de son enfance et du temps où elle était encore complice avec son frère et sa sœur ; du temps où elle était sincère à elle-même. Parfois elle se demandait si être venue ici était réellement bien pour eux, car ça les avait éloignés encore plus qu'avant. Autrefois ils dormaient ensemble, ils se disputaient mais rien de bien méchant. Maintenant ils en étaient réduits à se détruire mutuellement sans même le désirer, et parfois en voulant bien faire.

Un doux son parvint à ses oreilles, formant une mélodie à la fois agréable et nostalgique qui atteignit directement le cœur de la benjamine Salford. Était-ce une hallucination ? Après tout elle venait à peine de songer au violon de sa sœur et à la guitare de son frère alors... peut-être que c'était son imagination. Pinçant ses joues déjà rougies par les larmes Amy sentit la panique grimper progressivement en elle. Non, c'était bien réel : son aînée était dans les parages, et il ne fallait surtout pas qu'elle la voit dans cet état. Humidifiant ses mains à l'aide de l'eau du lac la petite blonde appliqua celles-ci sur ses yeux, essayant du mieux qu'elle le pouvait de faire dégonfler ses paupières. Après le second problème c'était que le blanc de son regard s'était légèrement teinté de rouge, ce qui n'arrangeait pas son cas. Peut-être pourrait-elle prétendre s'être assoupie dans un coin ? Non ça ne fonctionnerait pas. De toute façon les larmes recommençaient à perler le long de ses joues. Elle avait beau les essuyer du revers de sa manche ces satanées gouttes salées continuaient à rouler encore et encore sur sa peau de porcelaine.

Désormais elle n'avait même plus la force, ni la volonté de porter ce satané masque dont elle s'équipait si souvent. La seule solution qui lui restait c'était de se cacher en attendant que sa sœur lève enfin le camp. Alors, sanglotant doucement elle se laissa aller et glissa contre un arbre après s'être recroquevillée pour éviter que le bruit de ses pleurs ne monte trop en volume. Si Faith la voyait dans un tel état elle serait probablement très surprise et s'inquiéterait, cependant si elle savait que c'était à cause de Glen... elle irait très probablement coller une droite à Glen. Et ça, Amy elle ne le souhaitait en aucun cas alors cela lui donnait encore moins envie de le dire à sa sœur. Oui, c'était mieux ainsi : elle en était persuadée. De toute façon elle ne voulait pas causer d'ennuis ou même rendre inquiet qui que ce soit alors autant qu'elle reste dans l'ombre à pleurnicher, tout en souriant à la surface. Elle avait toujours été comme ça la petite Salford, dans ses périodes de tristesse soudaine. Et jusque là on ne l'avait encore jamais percée à jour, comme quoi elle se débrouillait plutôt bien en terme de mensonge – c'était la seule chose sur laquelle elle mentait, n'aimant pas mentir de base –.

Mimisagi avait probablement perçu que sa maîtresse ne comptait pas sortir de sa cachette, et, considérant certainement qu'elle ne pourrait pas l'aider seule cette fois, décida de se précipiter vers Faith après avoir bien ajusté sa cape. Pourquoi ce petit geste qui semblait pourtant anodin ? Parce que c'était ce bout de tissu qui ferait que l'aînée Salford la reconnaîtrait, car c'était sa particularité à elle reflétant le désir d'Amy d'être un jour le héros de quelqu'un. Alors la Laporeille roula, percutant de plein fouet les jambes de la violette une fois que celle-ci fut dans son champ de vision. Bien évidemment la blonde avait voulu l'en empêcher alors elle l'avait suivie dans l'espoir de la stopper avant qu'elle n'alerte sa sœur. Sauf qu'en constatant que c'était déjà bien trop tard, la benjamine resta plantée sur place, regardant Faith d'un air presque horrifié. Que faire à présent, vu qu'elles étaient face à face ? Oh elle aurait bien voulu fuir mais ses jambes s'étaient soudainement paralysées, comme le fit progressivement le reste de son corps peu après. Quel prétexte idiot allait-elle bien pouvoir inventer cette fois pour se justifier ?

« … Ah. » fut le seul mot qui parvint à s'extirper de ses lèvres. La pauvre était désemparée.

Après être restée un moment sans daigner bouger d'un pouce, Amy étira un sourire assez maladroit sur ses lèvres, tentant d'avoir l'air heureuse. Cependant ses sourcils froncés la trahissaient et elle en était consciente : bon dieu ce qu'elle devait faire pitié. C'était ce genre de vision qu'elle aurait préféré ne jamais donner à qui que ce soit, parce que c'était clairement le reflet de son cœur qui, contrairement à ce qu'elle laissait transparaître habituellement, criait constamment à l'aide et espérait qu'on l'aide. Oui il lui arrivait très souvent d'être réellement heureuse, elle ne prétendait jamais être autre chose que joyeuse de toute manière, ce n'était pas son genre. Comme poignardée par ses propres pensées et faits, la Namethia afficha un air soudainement blessé, renforçant son sourire forcé en espérant que cela passe. Elle était à bout, elle allait vraiment craquer. Et dire qu'à peine deux heures plus tôt elle était encore en train de jouer à l'enfant heureuse en se roulant dans les tapis du couloir des dortoirs...