Revenge is a dish best served cold

De toutes les zones d'Idryss, l'île Mystille est sans nul doute l'un des endroits préférés du professeur Grimm : une terre séparée du reste du monde par les eaux, regorgeant de secrets tous plus palpitants les uns que les autres, sans cesse battue par la mer et parfois par les tempêtes mais toujours aussi belle... Un véritable paradis pour quelqu'un préférant la nature sauvage à la civilisation grouillante et parfois étouffante du continent, l'endroit idéal pour quiconque voudrait prendre un peu de temps pour soi loin du chahut de la rentrée et de la monotonie routinière de la vie à l'académie. L'île Mystille, c'était ici qu'Oliver avait passé une partie de sa vie, c'était ici qu'il avait appris les rudiments de ce qu'il tentait vainement d'enseigner à ses élèves et de fait, c'était ici qu'il aimait se ressourcer le week-end, quand il n'avait rien à faire. Une fois de plus, il avait pu passer deux jours parfaits avec ses pokémons pour un congé relativement mérité : mais comme toutes les bonnes choses, cela avait une fin et il avait bien vite fallu penser à rentrer à Primepoc... Ou presque !

Debout devant le quai de la navette reliant Mystille au reste du monde, le trentenaire regardait le tableau d'embarcation avec une petite moue ennuyée, son unique œil valide rivé fixement sur l'horaire du prochain bateau qui viendrait dans un peu moins d'une heure. A l'horizon, l'embarcation qu'il avait prévu de prendre s'éloignait lentement, ultime preuve comme quoi il allait devoir patienter ici un moment avant de pouvoir rentrer chez lui. En soi, rester un peu plus dans les environs ne le gênait pas : c'était surtout le fait que la prochaine navette serait la dernière de la journée qui le peinait ! A cause de ça, il ne pouvait pas prendre le risque de trop s'éloigner de la rive et donc allait devoir trouver de quoi s'occuper dans cette zone d'embarcation vide et presque triste ! Lâchant un soupir d'exaspération, Oliver décida de se laisser tomber sur un banc, l'air las et la mine basse. Il s'alluma une cigarette, sortit un biscuit qui attira son Dedenne en dehors de la poche intérieure de son manteau qui lui servait de tanière et sortit un bouquin pour se détendre. Il était parti pour une longue heure d'attente et elle ne s'annonçait pas vraiment passionnante...

Revenge is a dish best served cold

Parfois, lorsque l’ennui vous frappe de plein fouet et que vous sombrez dans la lassitude, le sort (ou le destin c’est selon) trouve bon de mettre sur votre route de quoi vous distraire : un évènement curieux et imprévisible, une rencontre bienheureuse et distrayante. Dans le cas d’Oliver, il allait être aujourd’hui question d’un face à face avec une adolescente aux cheveux bleus et qui ne semblait pas être ici pour une simple discussion de routine. Assis sur le banc où il avait élu résidence pour les quarante-cinq premières minutes, le professeur de survie avait d’abord pensé que ce long moment d’attente ne serait que ponctué par le bruit de Goélise survolant le port et la prose élégante d’un auteur surcoté, en tête des ventes à cause de son histoire peu originale et d’une poésie fade mais suffisante pour le grand public. C’était sans compter le fait que le hasard faisait parfois mal les choses et qu’au même moment, une demoiselle pleine de vie ratait elle-aussi le ferry pour le continent ! L’aventure aurait très bien pu s’arrêter là si la jeune femme n’avait pas reconnu en Grimm une figure familière et qu’elle se devait de l’aborder de la façon la plus ennuyeuse au monde…

Plongé dans sa lecture, Oliver en fut bien vite tirée par une voix immature et trop appuyée pour être réelle, trop gamine pour être sincère. Détachant son seul œil valide des lignes inscrites à l’encre dans son bouquin, il fit face à une demoiselle qui ne lui était pas inconnu, la tête penchée vers lui, un peu trop près à son goût. Les yeux grands ouverts, elle fixait le livre comme pour y trouver une quelconque vérité, amusée par sa démarche et son approche totalement irritante. Le visage fermé, les traits figés dans un air las et ennuyé, le trentenaire fixait la jeune femme alors qu’elle insinuait quelques chose sur les préférences du jeune homme, à savoir qu’il aimait attacher des choses, des bateaux dans le cas précis. Il aurait presque trouvé ses sous-entendus drôles s’ils n’avaient pas été prononcés avec un ton aussi niais. Il la connaissait peut-être, surement même vu qu’elle voyait qui il était ! Une élève ? Sans doute vu son âge et sa façon de s’adresser à lui, son nom précédé du terme ‘’monsieur’’ n’étant pas vraiment employé par d’autres personnes que ses étudiants.

« Je suis désolé, ai-je donné l’impression d’avoir envie de passer du temps avec une élève en dehors des heures de cours ? Je suis à peu près certain que ce n’est pas le cas ! »

Il lui avait en quelque sorte tendu une perche, le fait qu’il soit ennuyé l’ayant rendu peut-être un peu trop évidente, pas vraiment subtile. Mais au final, jamais il n’avait eu honte de toutes les rumeurs courant sur lui, de tous les préjugés que les gens avaient à son égard. C’était même un jeu auquel il se prêtait volontiers, amplifiant même la réalité si cela pouvait pousser les gens à être encore plus fous dans leur imagination. Croisant les bras sans quitter son livre des mains, il finit par retrouver un certain sourire amusé avant de rajouter :

« En réalité, j’ai laissé mon bouquin sur les différentes sortes de lien à la maison ! J’ai pensé que ce livre sur les différents moyens de séquestrer les mauvais élèves serait plus soft pour une lecture en plein air ! »

Son ton était sarcastique mais non dénué d’une pointe d’humour. Son interlocutrice avait tout de l’élève le voyant comme le monstre qu’il était peut-être, alors autant lui donner ce qu’elle voulait pour qu’elle aille le raconter à ses copines au moins aussi curieuses qu’elle ! Elle avait repris un ton de voix normal et s’était plongé dans le jeu de la provocation, le préféré d’Oliver à n’en pas douter. Peut-être qu’attendre ici ne serait pas aussi ennuyeux qu’il se l’était imaginé ! Il plongea un instant son regard dans celui de la jeune femme, finissant par souffler, un sourire aux lèvres :

« Je suppose que je suis un assez bon professeur si je vous fascine tant que ça… De plus, j’ai bon espoir que certains de mes enseignements seront retenus par quelques-uns de mes élèves… »

Trop d’allusions pour que cette discussion ne soit que formelle : elle le cherchait… Pourquoi ? Il n’en savait rien ! Mais aucun élève n’aurait osé l’approcher comme ça sans avoir quelque chose à prouver… Il finit par hausser les épaules, se détendant soudain après l’avoir fixé un long moment, ouvrant ses bras pour les faire reposer sur le dossier du banc, croisant un peu ses jambes en souriant :

« Il semble que nous allons devoir tous les deux attendre le ferry ! C’est le bon moyen pour voir si vous avez retenu mes leçons, en survivant à l’interminable attente du bateau ! Je peux vous prêter mon livre si ça peut vous aider à patienter ! »

Clairement, lire n’était vraiment pas la chose la plus intéressante à faire en ce moment...

Revenge is a dish best served cold

Son attention était à présent totalement portée sur la demoiselle qui lui faisait face, la jaugeant du regard en silence alors qu’elle se tortillait lentement devant lui, comme une enfant ayant du mal à rester tranquille cinq petites minutes. Le ton de sa voix dissimulait à peine les quelques attaques qu’elle adressait au professeur mais il devait lui reconnaître un certain humour, notamment au sujet de la séquestration de Drathem. En réalité, c’était surtout drôle d’abord parce que peu étaient ceux qui auraient abordé le thème avec autant de légèreté mais aussi parce que malgré le ton humoristique qu’elle avait employé, il avait pu lire sur son visage qu’elle avait quand même pensé à quelques personnes qu’elle emprisonnerait bien. Tordue, drôle et un peu décalée avec le reste du monde… Un cocktail qu’il savait apprécier à sa juste valeur, ou presque !

Parce que s’il y avait quelque chose qu’Oliver n’aimait pas vraiment, c’était d’être observé de près, inspecté comme une bête curieuse qu’on analysait dans les moindres détails. C’était l’une des rares choses qui pouvait mettre le professeur hors de lui et malheureusement, la jeune femme à la chevelure bleue se faisait un plaisir de le regarder sous tous les angles, approchant son visage trop loin du sien pour qu’il l’interprète d’une façon agréable mais en même temps pas suffisamment loin pour qu’il soit à l’aise. Il l’aurait bien repoussé d’un geste de la main comme on chassait une mouche obstruant sa vision mais était certain qu’elle aurait apprécié et deviné que ça le perturbait. A la place, il se contenta de sourire, un sourire exagérément forcé alors qu’elle parlait de ses enseignements. S’il avait appris une chose, c’était que lorsque quelque chose nous énervait, il fallait l’exagérer au point que ça soit l’autre qui soit le plus saoulé par la situation. Il avança alors son visage de celui de l’élève, toujours avec cet air carnassier qui lui était si caractéristique :

« J’espère bien… J’ai énormément de choses à vous apprendre… »

Son regard était presque malsain, plein de défi mais également de dégoût. La situation n’était pas vraiment agréable mais il préférait s’en amuser. Elle finit heureusement par se retirer, préférant aller s’asseoir au bout du banc comme pour éviter le professeur. C’était amusant de la voir faire : après avoir envahi son espace sans gêne aucune, elle essayait à présent de le fuir comme s’il était l’incarnation du mal, ce qui n’était pas totalement dénué de bon sens quand on y réfléchissait et surtout qu'on savait de quoi le jeune homme était capable. C’était une façon étrange de faire mais la demoiselle était tout sauf sensée dans sa façon d’agir. Elle resta silencieuse un petit instant avant de reprendre la parole, abordant un sujet des plus intéressants : pourquoi était-il devenu professeur de survie ? Elle semblait déjà avoir quelques pistes à ce sujet, n’était peut-être pas si loin de la vérité que ça… Mais elle n’aurait jamais pu, même si elle le voulait, deviner la vérité. Il hésita un instant à répondre à sa question, plus car il ne savait pas s’il allait entrer dans son jeu ou lui dire la vérité. Se tournant un peu pour lui faire de nouveau face, il sourit légèrement en faisant mine de réfléchir :

« Oh, je n’ai pas vraiment besoin d’une protection légale pour torturer des jeunes mademoiselle, au contraire ! Lorsqu’on est prof, cela enlève la notion de risque de l’équation et rend le tout plus… Ennuyeux ! »

Il marqua une légère pause et afficha un sourire sadique, réfléchissant à la meilleure façon d’aborder le sujet. Elle avait envahi son espace et l’avait rendu mal à l’aise et maintenant qu’elle le fuyait, il était temps pour lui de prendre sa revanche. D’un mouvement fluide, il se fit glisser le long du banc jusqu’à être à proximité de celle qui se prénommait Krystina, se mouvant comme un serpent autour de sa proie. Il se pencha vers elle en appuyant son bras sur le dossier du banc, l'air amusé :

« Nous n'avons qu'une vie mademoiselle Ponikarov et pourtant, je ne me suis jamais autant senti mort qu'en menant un train de vie monotone et enlisé dans la routine. Arceus nous a donné une nouvelle chance et quand je vois les merveilles que la nature a à nous offrir, je pense qu'on doit tout faire pour en profiter ! Mais en profiter c'est parfois jouer avec la mort, et si je pense que c'est le meilleur moyen de se sentir vivant, cela comporte également des risques... »

Il sourit de plus belle à l'évocation de ce mot qui lui était si cher... Prendre des risques était la définition même de sa raison de vivre même si au final, il les anticipait tellement qu'ils n'en étaient jamais réellement... Il voulait le grand frisson mais ne voulait pas perdre non plus. A mesure qu'il parlait, il se rapprocha encore d'elle :

« J'aime à croire que la nouvelle génération a conscience de ça et qu'elle fera comme moi, en explorant le monde, en se balançant au bout d'une corde sur une falaise en pleine tempête ou en surfant au sommet des montagnes pendant un blizzard ! Mais le risque implique aussi d'y survivre et ce n'est pas dans mon intérêt de voir les gens mourir... Pour éviter cela, quelqu'un doit leur apprendre à survivre, qu'il faut une personne pour... Déceler les plus grands potentiels et leur donner tous les outils pour tirer le meilleur d'eux mêmes... Et je pense être le mieux placé pour ça... »

Il avait totalement envahi l'espace autour d'elle, la fixant de son œil émeraude, sa respiration lente mais oppressante rendant le dialogue à la fois posé et gênant. Il finit par souffler quelques mots plus particulièrement à son attention :

« … Et je meurs d'envie de voir si vous faites partie de ces gens qui aiment prendre des risques, mademoiselle Ponikarov... »


Ses mots avaient sifflés comme un poison sonore alors qu'il étouffait un petit rire en se retirant lentement, retournant à sa place initiale en s'étirant, sortant sa pipe de sa poche pour l'allumer. Il avait quitté son rôle d'homme flippant pour retrouver son masque de lassitude, soufflant quelques ronds de fumée dans les airs avant de reprendre la parole :

« Alors dites-moi, qu'est ce qui vous a emmené sur l'île Mystille ? Je doute que vous soyez venue ici juste pour discuter avec moi ou pour coller des chewing-gum sur les sièges du port... »

Il se souvenait d'elle à présent, ou peut-être avait-il toujours su qui elle était... Mais ce n'était pas le plus important à cet instant : le principal était de savoir ce qu'il apprendrait d'elle maintenant !

Revenge is a dish best served cold

Elle était amusante, en dépit de son envie de toujours le titiller avec des petites piques verbales d’apparence innocentes mais en réalité assassines. Qu’elle le veuille ou non ils avaient tous les deux un peu la même manière d’aborder les choses, le ton mesquin et sarcastique, sans jamais se laisser déstabiliser par une situation, même les plus désagréables. Elle était restée stoïque lorsqu’il l’avait un peu provoqué en s’approchant d’elle et même si elle n’avait pas été franchement rassurée, elle n’avait pas non plus manifesté clairement son dégoût. Son attitude plaisait à Oliver et même s’il aurait préféré ne pas avoir affaire à une élève de Primepoc aujourd’hui, il devait avouer qu’il aurait pu tomber sur bien pire aujourd’hui. Elle prenait les choses à la légère même si on pouvait sentir que le sujet lui tenait un peu à cœur, comme lorsqu’elle évoqua une seconde fois les Drathems. S’il doutait du fait qu’elle ferait sagement tout ce que le professeur lui demandait de faire, il pensait cependant qu’elle pourrait être un atout dans sa manche s’il trouvait le moyen de se la mettre dans la poche. Elle n’était plus une ennemie à cet instant, un parasite qu’il aurait bien chassé à la bombe insecticide s’il l’avait pu… Non, elle était un possible atout et ça méritait au moins un semblant de son attention.

Certes, à l’entendre parler elle ne deviendrait pas son chouchou pendant les cours, surtout que la place était déjà briguée par d’autres élèves plus blonds qu’elle… Mais il l’apprécierait certainement plus que les lèches-bottes et autres pseudo-survivants qui n’avaient pas réellement conscience de leurs compétences : elle savait ce qu’elle valait, apparemment peu aux vues des attentes d’Oliver, mais avait le mérite de connaître ses limites. A l’inverse, elle lui proposa presque trop innocemment deux autres Wengyard, comme par hasard les deux avec lesquels le trentenaire avait le plus de contacts : Maks et Elune. Le premier, il l’avait rencontré dans ton cours puis à l’arrière du Bekipan Boîteux et même s’il était suffisamment fourbe pour servir ses intérêts, Oliver ne le pensait pas non plus capable de prouesses énormes en terme de prises de risques ou de survie. Pour Elune, c’était tellement personnel que ça en devenait presque dérangeant : le goût du risque elle l’avait, l’instinct de survie… Un peu moins ! Il avait pu en être le juge très intime d’ailleurs. Mais le fait qu’elle soit évoquée par Krystina perturba un instant le professeur qui plissa légèrement les yeux à l’évocation de son nom. Il se retint de faire une remarque acerbe pour ne pas enfoncer le clou, mais la suspicion s’empara légèrement de lui.

« Je ne pense pas que monsieur Dazdraperma ou que mademoiselle Crowley soient spécialement taillés pour mon cours malheureusement… Ils ne correspondent pas à mes attentes dans ce domaine… »

Difficile de faire comme si de rien n’était quand il parlait de ces deux là, la neutralité n’étant pas vraiment de mise lorsqu’il s’agissait d’eux. Petite parenthèse d’ailleurs sur le fait que ses liens avec les élèves étaient à quelques exceptions près uniquement avec des Wengyards, cela trahissait-il quelques préférences de sa part ? Oliver l’écouta parler de la raison pour laquelle elle était venue là : la survie ! Il en aurait presque rigolé, amusé par les agissements de la jeune femme qui dévoilait ses longues jambes rougies par des plaques, sans doute touchée par des orties ou piquée par des insectes. C’était classique lorsqu’on ne savait pas y faire et surtout, c’était un peu la preuve de la survie du pauvre : généralement, lorsqu’Oliver partait en montagne, il revenait avec des ecchymoses, des coupures, de la terre et de la corne au niveau des doigts, pas simplement quelques piqûres de moustiques ! Mais elle avait eu au moins le courage d’essayer et de constater qu’elle n’était pas réellement bonne à ça… Ce n’était pas grave en soi, c’était le travail d’Oliver de lui apprendre ! Même si au fond, il doutait parfois de la capacité d’apprentissage de ses élèves…

« Si ça peut vous rassurer, personne n’est bâti pour la survie à la naissance, c’est quelque chose qui s’apprend… Et vous apprendrez si je fais suffisamment bien mon travail… »

Il dessina quelques ronds de fumée dans les airs rapidement dissipés par le vent et les embruns, penchant sa tête en arrière en signe de relaxation totale. C’était un petit plaisir qu’il avait pour se vider la tête et il fut bien vite rejoint par Krystina dans l’exercice, cette dernière ayant allumé une cigarette en profitant de l’absence du règlement de Primepoc pour se faire un peu plaisir. Elle reprit la parole pour questionner Oliver sur sa présence, interrogations légitimes accompagnée d’une supposition farfelue mais étrangement pertinente : non, il n’avait pas prévu le naufrage de ses élèves sur une île déserte… Pas encore…

« Je ne voudrais pas gâcher la surprise de mon prochain cours en vous révélant les situations périlleuses auxquelles vous aurez à faire face ! Rassurez vous cependant, j’ai fait en sorte d’être sûr de la mort d’au moins trois élèves lors de la sortie de la semaine prochaine… Il faut bien que je me distraie ! »

Il rit légèrement, son éclat de voix trop appuyé pour être sérieux mais pas suffisamment pour qu’il soit forcément pris sous le ton de la plaisanterie. C’était dingue de voir les élèves penser qu’il était obligatoirement là pour faire du mal aux gens. Certes, il ne rendrait jamais la tâche facile à ses élèves car il estimait que la vie en elle-même n’était pas facile mais en soi, la difficulté de base en survie était suffisamment élevée pour que les élèves galèrent sans qu’on ait à rajouter quoi que ce soit pour les couler :

« C’est étrange quand même, cette impression qu’on les élèves de penser que les professeurs sont là pour leur en faire baver… La majorité du temps, c’est surtout eux qui sont trop flemmards ou trop peu investis pour avoir le niveau minimum requis pour le cours. Il est trop facile de s'ériger en victime quand on est trop content de l'être... »

Il inspira un grand coup avant de regarder le ciel, puis l'heure. Le temps passait mais peut-être pas assez vite à son goût :

« Je suis ici par pur loisir, j'avais envie de profiter un peu du beau temps pour permettre à mes pokémons de se dégourdir les jambes ailleurs qu'à l'académie. Cette île est l'endroit idéal où vivre pour quelqu'un comme moi, ça me change de Primepoc en somme... Même si il semblerait que Primepoc ait décidé de me suivre même dans les recoins les plus dangereux de la planète... »

Il reporta son regard sur elle, un sourire aux lèvres...

Revenge is a dish best served cold

De l'empathie, un concept bien étrange pour quelqu'un comme Oliver ! Lui qui était dénué de toute compassion envers quiconque se retrouvait face à une élève qui semblait insinuer qu'il était normal que ses étudiants n'en aient pas pour lui. Bien évidemment que le professeur n'espérait pas que les adolescents qu'il avait à sa charge éprouvent la moindre sympathie à son égard : lui-même n'en avait pas pour eux ! La moitié étaient naïfs et idéalistes, loin de s'imaginer comment la vraie vie pouvait être et l'autre partie était rebelle et faisait semblant d'être solide alors qu'elle s'effondrerait comme un château de cartes à la moindre difficulté. Il ne voulait pas être plaint, tout comme il ne plaignait pas cette jeunesse qui le désolait un peu plus chaque jour. Et quand bien même il existait quelques résidents de Primepoc ayant de l'empathie pour le borgne, ces derniers ne sentiraient rien d'autre que son dégoût et sa lassitude... Et il était difficile de lui en vouloir lorsqu'on voyait à quels types d'énergumènes il avait affaire au quotidien : rien que Krystina suffisait à prouver au monde entier que les membres du corps enseignant étaient confrontés à des adolescents cyniques et à qui il était difficile de vouloir enseigner quoi que ce soit ! Oh oui, l'école était un endroit si difficile et cruel, la loi de la jungle y était appliquée et il était difficile d'y survivre ! Oliver avait entendu ça des dizaines et des dizaines de fois : c'était donc pour ça que les élèves ayant cette vision séchaient les cours, c'était aussi la raison pour laquelle ils considéraient ceux qui essayaient de leur apprendre quelque chose comme des ratés à qui faire la misère et qu'il valait mieux aller fumer en cachette plutôt que d'essayer d'apprendre quelque chose ! A trop s'ériger comme une victime, on avait l'habitude de penser qu'on l'est réellement...

Certes, tout le monde avait sa vision très personnelle de ce que pouvait être l'enfer, mais le trentenaire était certains que seuls les plus idiots apparentaient l'école à ce terme-là ! Peut-être qu'en effet, la vie en milieu scolaire n'était pas la plus facile de toutes mais les étudiants ne se rendaient pas compte de la chance qu'ils avaient. Un lit, un toit, des cours, des gens qui pour la plupart s'arrachaient pour foutre quelque chose dans leur petite tête... Qu'auraient fait ces petits martyrs s'ils avaient dû se battre pour survivre dans la rue ? Avaient-ils seulement conscience que ce que c'était de se réveiller le matin en se demandant si on allait pouvoir manger ? Et puis, cette horreur dans laquelle ils se sentaient piégés, ils en étaient sûrement plus responsables qu'ils n'osaient le dire ! La Wengyard l'avouait elle-même : nombreux étaient ceux qui auraient voulu l'envoyer en dépression ! Charmant quand on y pensait...

« Ne croyez pas que j'ai besoin de survivre à Primepoc ou que je vois les élèves comme une menace, la majorité ne sont à mes yeux rien de plus que des chats qui tentent de rugir comme des lions. Si l'école est la jungle que vous semblez imaginer, la seule chose que je pourrais redouter serait de trouver un prédateur plus fort que moi... Et en tant que professeur de survie, j'estime ne pas avoir trop de soucis à me faire de se côté là... »

La survie et la chasse étaient intimement liées et Oliver était bon sur les deux tableaux. S'il considérait qu'aujourd'hui personne à l'académie ne pouvait constituer une menace pour lui, il dissimulait également le fait qu'il trépignait à l'idée qu'au contraire, il existe bel et bien quelqu'un capable de lui causer du tord ! Primepoc manquait cruellement de challenge et l'existence d'un possible rival avait au moins le mérite d'exciter un peu la curiosité du trentenaire. Qui pouvait bel et bien le mettre en danger à cet instant ? Peut-être Krystina, surtout vu ce qu'elle allait révéler par la suite ! Alors que la discussion était presque cordiale, elle lui posa une question qui l'interpella... Ou plutôt, c'était la tournure de ses phrases qui semblaient étranges. Qu'attendait-elle de lui à cet instant ? Il avait bien compris qu'elle espérait qu'il n'ait pas d'empathie pour ses élèves, elle l'avait clairement et explicitement fait savoir ! Mais souhaitait-elle qu'il lui dise qu'il n'avait pas de compassion ou d'intérêt pour ses élèves ? Voulait-elle vraiment un professeur qui n'en avait rien à faire de ses étudiants ? Parce que même si c'était en effet le cas, il n'était pas sûr que ce soit réellement professionnel de faire un tel aveu !

Puis soudain, tout s'éclaira à la manière d'un sapin de Noël en pleine période de fêtes, comme une illumination qui rendait toute cette rencontre beaucoup plus claire ! Les mots de la demoiselle à la chevelure bleue se mirent à résonner dans la tête de son aîné avec une intensité toute particulière. Elle passait à l'attaque, décidait de le confronter à ce qu'il avait fait, à ce qu'elle savait de lui. Il était surpris d'un tel retournement de situation, ne s'était jamais imaginé une seule seconde qu'Elune irait raconter leur petite mésaventure à quiconque à l'académie. Il avait fait erreur et aujourd'hui, ça se retourner contre lui, par l'intermédiaire de Krystina ! Il aurait pu être nerveux, il l'était certainement un peu même, mais tout ce qu'elle put tirer de lui fut un grand sourire amusé, peut-être légèrement exagéré :

« Alors c'était donc ça ! Moi qui pensait avoir enfin trouvé un élève qui souhaitait simplement parler de survie, quel naïf je fais ! »

Il était un peu amer dans ses paroles, forçant le trait en secouant la tête en de grands gestes presque comiques. Que pouvait-il faire d'autre ? Ils étaient tous les deux seuls, en dehors du cadre scolaire, à parler des aventures sexuelles et peu morales qu'il avait eu avec une élève qu'il avait piégé par la suite. La situation n'était définitivement pas en sa faveur ! Mais c'était dans ces cas-là qu'Oliver se devait de sortir le grand jeu et il comptait le faire dès à présent ! Il n'allait pas se laisser intimider par une gamine ! Se tournant vers elle, il la fixa avec un sourire narquois :

« Ne vous inquiétez pas mademoiselle Ponikarov, l'empathie ne fait pas réellement partie de mon vocabulaire ! Les sentiments n'ont jamais été mon fort de manière générale ! Quant à mes vieux démons, disons que je sais comment les museler quand ils menacent de faire un peu trop de bruit... »

Il n'avait plus rien de sympathique, son unique œil plongé dans le regard de Krystina sans s'en détourner une seule second, l'émeraude de ses yeux luisant légèrement alors que chaque trait de son visage se mouvait de manière très perceptible. On aurait dit un prédateur sournois prêt à dévorer sa proie, menaçant et intimidant :

« Je ne sais pas ce que mademoiselle Crowley a bien pu vous raconter, sans doute s'est elle positionné comme une pure victime... Typique des élèves encore une fois ! Quoi qu'il en soit, la seule chose que vous avez besoin de savoir est qu'il n'y n'est jamais question de survie ou de suicide lorsqu'on est en haut de la chaîne alimentaire... La seule véritable question est de savoir si les autres ont suffisamment peur ou s'il est nécessaire d'en rajouter une couche pour qu'ils comprenne qui est le grand méchant loup de l'histoire... »

Il passa délicatement sa langue sur ses lèvres, avançant encore un peu en respirant lentement :

« Dites à votre amie que lorsqu'on ouvre la cage de la bête que tout le monde craint et qu'on met sa main dedans histoire de voir si c'est dangereux, il ne faut pas s'étonner d'être mordu... Je pense d'ailleurs qu'elle aurait également du vous prévenir qu'il est mieux pour vous de rester en dehors de mon chemin... J'ai tendance à laisser un mauvaise souvenir à ceux qui croisent ma route... »

Le bruit d'un bateau arrivant au loin retentit, telle une corne grave qu'on sonnerait pour prévenir de son arrivée. Le son correspondait parfaitement avec l'intensité lourde de la discussion. Ils n'auraient bientôt plus beaucoup de temps à attendre ici. Pour clôturer finalement la discussion, il réduisit encore l'écart entre eux, envahissant de nouveau son espace :

« Je ne sais pas pour la provocation d'un professeur, mais me provoquer moi est effectivement du suicide... A moins que vous n'ayez quelque chose à redire ou que vous cherchiez les ennuis, les vrais, je suggère que vous gardiez votre rancœur à mon égard pour vous... N'essayez pas bêtement de défendre votre amie contre quelque chose qui vous dépasse, vous ne feriez qu'envenimer les choses... »

Il se leva, attrapant son sac pour se préparer à partir. Jetant un dernier coup d'oeil à Krystina, il ajouta :

« Autre chose ? »

C'était le moment ou jamais pour elle de faire savoir qu'elle avait compris le message... Ou pas ! La Wengyard ne faisait pas vraiment partie des gens qui gardaient leur langue dans leur poche...

Revenge is a dish best served cold

Elle l’insupportait au plus au point, faisant bouillir en lui une rage indescriptible. Son insolence atteignait un point qu’il n’avait jamais vu auparavant, chaque mot sortant de sa bouche était une provocation à son égard, une pique mortelle qu’elle tirait dans sa direction. Elle savait comment faire pour le toucher dans son orgueil et cela ne lui plaisait pas, vraiment pas. Comment quelqu’un pouvait-il être aussi agaçant, aussi pénible ? Oliver savait pertinemment qu’il n’était lui non plus pas facile à vivre mais l’énervement qu’ils provoquaient tous les deux. Lui était comme un point de côté, une douleur lancinante et désagréable, sourde, de celle qui vous fait grimacer de douleur mais contre laquelle vous ne pouvez rien faire. Krystina en revanche sonnait plus comme un grincement sur un tableau noir, irritant et grinçant, insupportable et qui nous donnait des envies de meurtres. D’ailleurs à cet instant, seul son statut de professeur empêchait le trentenaire de sauter à la gorge de la demoiselle pour la faire taire.

Mais n’était-ce pas ce qu’elle voulait ? Le pousser dans ces derniers retranchements pour qu’il finisse par craquer, par commettre l’irréparable ? Sans doute, elle le titillait là où il ne pouvait pas se gratter, comme le parasite qu’elle était effectivement. Elle se jouait de lui car elle se croyait intouchable, car elle pensait qu’en tant qu’outsider elle n’aurait rien à perdre, qu’elle était invulnérable. Après tout, que pouvait-il bien lui arriver lorsqu’on savait que les professeurs étaient contrôlés par le règlement, qu’ils se devaient de faire bonne figure devant le monde entier ? Rien… Et pourtant Elune en avait payé le prix en agissant ainsi, en pensant qu’elle pouvait le battre. Il trouverait un moyen de faire mais en attendant, il ne pouvait nier que l’attitude de la demoiselle était exaspérante. Elle ne cessait de repousser les limites du respect, les franchissant même une par une pour voir à quel moment il cèderait… C’était pour ça qu’il fallait qu’il garde son calme, qu’il puise dans les dernières ressources de patience qu’il lui restait pour garder un semblant de contrôle.

« Toutes les proies connaissent la peur, il suffit juste de savoir comment la provoquer… »

Il avait soufflé ça en serrant les dents, le visage fermé à toutes émotions alors qu’il continuait de bouillir intérieurement. Il trouverait une faille chez elle et même si à cet instant elle avait l’avantage de détenir plus d’informations sur lui qu’elle en avait sur elle, il trouverait un moyen de renverser la situation à un moment ou à un autre. Elune avait fait l’erreur de lui donner une arme, il riposterait le moment venu. Finalement, la Wengyard pris trop d’assurance et le menaça, chose qu’il ne put tolérer et qui le fit se braquer. Etait-ce vraiment le jeu dans lequel elle voulait s’engager ? Souhaitait-elle vraiment franchir un nouveau cap ? Si tel était le cas, elle déclencherait définitivement une guerre entre eux et les conséquences seraient terribles. Peut-être qu’il tomberait sous ses menaces, que même sa fourberie ne pourrait le sauver de ce qui pourrait arriver si effectivement elle rependait la rumeur de ses relations ambiguës avec sa camarade de chambrée… Mais il ne tomberait pas seul et elle en souffrirait autant, voir même plus. Car si elle était désinvolte et rebelle, elle avait certainement autant voir plus à perdre qu’Oliver… Et il ferait en sorte que ce soit le cas ! Même si c’était la dernière chose qu’il ferait.

Elle se mit à tapoter sur le clavier de son téléphone et le sang du borgne ne fit qu’un tour. Franchirait-elle le pas sans prendre le temps de réfléchir plus que ça ? Si tel était le cas, elle était encore plus bête qu’il ne l’avait imaginé et sa provocation depuis le début n’était pas quelque chose de calculé mais de la pure insouciance, de celle qui vous faisait regretter vos actes quelques minutes après avoir fait une erreur. Alors que le bateau accostait et que les quelques passagers se pressaient pour monter à bord, Oliver jeta un regard noir à l’élève avant de se targuer d’une petite remarque à son égard :

« Les lionceaux sont ce qu’ils sont : des enfants... A la réflexion limitée, à l’égocentrisme et l’insolence démesurée. Dites-moi mademoiselle Ponikarov, est-ce que votre camarade vous a révélé ses secrets les plus gênants dans l’espoir que vous les révéliez au monde entier ? Ou est-ce que votre orgueil et votre égo sont en train de vous pousser à trahir la confiance de l’un des vôtres juste pour marquer un point ? Je savais que les parasites étaient gênants, je ne me doutais pas qu’ils étaient aussi égoïstes ! »

Avant d’embarquer, il s’arrêta à la hauteur de la demoiselle, la toisant d’un regard inquisiteur alors qu’il jetait un œil au téléphone, un sourire forcé et en même temps un peu amusé aux lèvres. Il risquait gros à cet instant, pouvant même frôler le renvoi par son attitude, évitant la prison simplement parce qu’Elune était majeure et avait été sur le coup consentante. Mais s’il avait pu déceler quelque chose dans le discours de la demoiselle c’était qu’elle tenait à son amie et qu’elle réfléchirait peut-être deux fois avant d’agir si cela nuisait à Elune.

« Faites ce que vous avez à faire, si être stupide est votre façon d’être, ce dont je ne doute pas… Réfléchissez juste un peu aux conséquences de vos actes. ‘’Un grand pouvoir implique de grandes responsabilité’’ comme il est coutume de dire, pensez juste à si vous êtes prête à assumer la responsabilité de non seulement m’avoir fait virer de Primepoc mais aussi d’avoir dévoilé les secrets de votre amie, d’avoir révélé ce qu’elle vous a confié en privé et tout ce que cela peut engendrer. Je suis certains qu’il y a certains secrets que vous-même n’aimeriez pas voir révélé au grand jour… Comment cela se passera-t-il pour vous lorsqu’une gamine irresponsable en qui vous croyiez décidera de tout révéler juste sur un coup de tête ? »

Il sourit plus naturellement, lui donnant enfin de quoi réfléchir un peu. Elle avait le destin du professeur entre les mains, mais pas seulement… Qu’en ferait-elle ?

« Bonne journée mademoiselle Ponikarov, je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire de continuer à parler durant le reste du trajet… Je verrais bien ce que vous avez choisi de faire en rentrant à l’académie de toute façon ! »

Alors qu’il montait dans la navette, Oliver chercha à dissimuler la boule de rage qui le prenait à la gorge. Il n’y a rien d’autre qui puisse faire, à part implorer pour qu’elle ne fasse rien… Ce qu’il ne ferait jamais ! Primepoc n’était pas sa priorité, restait à voir si Krystina voyait son renvoi comme la sienne…