Fair Game

Si la vie était un jeu, celle d'Oliver serait sans doute une immense partie d'échecs. Un échiquier où chaque pièce serait une part de lui-même, où chaque acte qu'il réaliserait serait une étape vers quelque chose de plus grand, vers la victoire sur l'un des innombrables adversaires auxquels il avait dû faire face au fil des ans. Tout était planifié, tous les risques étaient calculés bien longtemps à l'avance pour lui permettre de toujours avoir l'avantage, de toujours contrôler la partie. Il maniait ses pions comme ses phrases, sans qu'aucun mouvement ne soit inutile, qu'aucune décision ne soit sans conséquence. Le plus anodin des gestes pouvait être un piège mortel, la plus banale des propositions une tentation fatale. Il aimait ça, cette impression de toujours être à la recherche de la victoire, ce besoin de toujours tenter de dominer l'adversaire, de le pousser à faire une erreur pour qu'il en profite avidement. Primepoc était devenu son terrain de jeu et sa chambre ce soir serait celui de la rencontre d'un nouveau challenger...

Il venait de ranger son téléphone dans sa poche, s'apprêtant à rentrer dans la salle des professeurs où il était attendu pour un débriefing à propos de cette semaine. Membre du corps enseignant oblige, il devait comme chaque week-end rendre des comptes à la direction et à Miaouss, faire part des observations qu'il avait pu faire sur les élèves, sur le déroulement de ses cours. Une contrainte administrative dont il se serait bien passé mais à laquelle il ne pouvait pas couper : s'il avait un certain ascendant sur ses étudiants, il n'en était pas de même avec les dirigeants de l'académie, du moins pour le moment... En y réfléchissant, il était assez paradoxal qu'un être aussi amoral et fourbe qu'Oliver ait à faire part des mœurs déviants des adolescents suivant des cours ici : le diable était-il le meilleur juge lorsqu'il s'agissait du crime des autres ? Sûrement, et c'était une douce injustice dont il se délectait avec une grande satisfaction. Après tout, le trentenaire était le premier à enfreindre les lois, à jouer de son pouvoir sur les autres pour les manipuler ou servir ses intérêts... Pas plus tard qu'il y avait quelques minutes, il conseillait à la jeune Victoria de s'infiltrer dans le QG des professeurs ce soir pour une rencontre intimiste et interdite : c'était pour dire ! Il lui avait proposé une partie d'échecs qui ferait suite à leur première rencontre déjà intéressante, une partie dont les enjeux allaient bien au delà de la simple victoire ludique...

Il avait passé le reste de la journée à penser à ce qui se passerait une fois la nuit tombée, passant la majeure partie de son temps dans son lit à fumer en regardant pensivement le plafond de son dortoir. Il n'avait pas l'habitude de rester autant passif : d'ordinaire, il profitait du week-end pour disparaître pendant deux jours en pleine nature et ne revenir que le dimanche soir, voir le lundi matin les jours où il n'avait pas cours. Il se surprit donc à rêvasser pendant de longues heures, faisant le point sur les nombreuses journées qu'il avait passé ici depuis qu'il avait été engagé. L'horloge tourna jusqu'à pratiquement indiquer 21h et il sembla qu'Oliver n'avait pas bougé du lit, excepté pour attraper le reste de sandwich qu'il avait laissé du midi et se remplir un peu la panse. La nuit était tombée et la pièce était plongée dans l’obscurité la plus totale, si bien que le professeur se décida à allumer la salle avec de nombreuses bougies, donnant un air sombre et un peu mystique à cette dernière. Il adorait les bougies et en avait partout, c'était un travers qui pouvait se faire ressentir dans sa chambre. Au centre de la pièce, il avait disposé un échiquier sur la table et deux chaises où ils pourraient s'asseoir, pour leur duel...

La porte fut finalement battue à 21h pile et Oliver alla ouvrir calmement, espérant bien voir son invitée sur le palier. Il ne fut pas déçu, affichant un léger sourire avant de lui intimer de rentrer, regardant au détour du couloir si aucun curieux ne se trouvait pas dans les parages. Lorsqu'il ferma la porte, il ne put s'empêcher de lui indiquer le siège sur lequel s'asseoir, comme si cela pouvait avoir une quelconque importance :

« Apparemment, venir jusqu'ici a été une formalité, parfait... »

Il s'assit en face d'elle, s'accoudant à la table qui leur servirait de support en plongeant son œil dans les siens : il n'était plus question de rire maintenant !

« Pouvons-nous commencer ? »

Fair Game

Il sourit légèrement en l'écoutant évoquer les bougies qui décoraient son appartement, sans réellement prêter attention à l'éventuelle pique dissimulée dans ses propos : il avait une passion pour les bougies et lorsque la nuit tombait, il était rare de voir autre chose que ça produire de la lumière dans sa chambre. Ce qu'il appréciait, c'était surtout l'ambiance tamisée couplée avec les couleurs chaudes du papier peint, les flammes se mouvant doucement au gré de ses gestes et de ses déplacements. C'était l'absence d'agression visuelle, la douceur et la force du feu apaisant et pourtant destructeur, la subtilité d'un éclairage un peu atypique. Il avait passé des années entières en pleine nature et ses nuits avaient été bercées par des feux de camp alors il était possible que cela ait pu jouer dans le choix de la décoration. Et aujourd'hui, l'ambiance était parfaite pour l'utilisation de bougies...

« J'ai pensé que ça collerait bien au thème de la rencontre interdite... »

Il s'était installé en face d'elle, se retrouvant devant les pièces noires disposées sur le plateau assez sobre mais chic qu'il avait emmené avec lui lors de son emménagement. Oliver ne faisait pas partie des gens qui avaient beaucoup de possessions, les biens matériels ne faisant pas partie des choses importantes dans sa vie : à dire vrai, ça allait même à l'encontre de la vie de bohème à laquelle il était si attaché. Mais le peu qu'il avait était toujours folklorique ou inattendu, des objets qu'il avait ramené de ses voyages aux quatre coins du monde et qu'il stockait à présent à Primepoc : l'échiquier en faisait partie ! Il se souvient même qu'il s'agissait d'un cadeau de la part de Vlad, le champion de Signuire : son obtention était une très longue histoire sur laquelle il ne s'étendrait pas, du moins tant qu'il n'avait pas à le faire. Il la regarda faire le premier mouvement, croisant les bras devant lui en regardant le plateau avec un sourire, son unique œil rivé sur les mouvements de la blondinette. Son premier geste fut banal et inconsciemment, il en fut un peu déçu : peut-être s'était-il attendu à un plus de fantaisie de sa part ! Mais elle voulait assurer la victoire et il ferait de même :

« Alors dites-moi, comment avez-vous échappé à la surveillance de vos amis et du personnel pour venir ici ? »

Elle avait déplacé son pion et fit de même, positionnant le sien en parfaite opposition à celui de Victoria, en D5. Rapport frontal, jeu relativement fermé... Il ne lui céderait pas une once de terrain. Cette fois, il y avait beaucoup en jeu et c'était ce qui plaisait au professeur :

« A vous mademoiselle Limeria... Je me demande bien quels sombres secrets vous dissimulez et que je vais pouvoir vous faire avouer... »

Fair Game

Ils s'étaient laissés absorbé par le jeu et ses enjeux autant originaux qu'importants : les secrets de l'autre allaient être les véritables objectifs de cette soirée, le centre de leur intérêt. Il aurait pu paraître risqué et osé pour le professeur de survie de s'exposer ainsi à la demoiselle, cette dernière ayant ainsi des chances d'en apprendre plus sur lui... Mais à vaincre sans périls, on triomphe sans gloire et à cet instant, on aurait très bien pu dire que le trentenaire ne vivait que pour la gloire... Mais une gloire personnelle, celle de tout savoir sur ceux qu'il avait en face de lui, d'avoir un certain contrôle sur une personne par la détention d'informations à son sujet. Cela paraissait peut-être anodin, mais connaître la vie d'une personne pouvait être un avantage décisif dans certaines situations : le chantage par exemple ! Il l'avait appris bien vite, connaître les secrets des gens pouvait éviter de nombreuses surprises et permettre d'en réserver quelques autres... Et c'était un luxe à côté duquel Oliver ne pouvait pas passer, surtout lorsqu'il faisait face à une jeune femme aussi intéressante que Victoria !

Elle lui conta son subterfuge pour venir jusqu'à lui et même s'il avait plus ou moins imaginé qu'elle ait pu agir ainsi, il en fut un peu déçu ! Son esprit avait voulu de la fantaisie, une histoire rocambolesque avec des mensonges et des duperies, l'intelligence de la belle blonde contre le système et contre ceux qui la surveilleraient éventuellement ! Mais il n'en fut rien, juste quelques prétextes et des coussins, pas de quoi faire palpiter son cœur d'aventurier. Il ne montra cependant pas sa déception, se contentant d'appuyer son menton sur ses mains jointes devant lui, fixant les doigts de la demoiselle en train de bouger son cheval :

« Apparemment la sécurité dans ce bâtiment n'est pas vraiment à la hauteur... Si n'importe qui peut entrer dans la chambre d'un professeur, je n'ose imaginer ce que certains peuvent se risquer à faire s'ils ne craignent pas le danger... »

Il avait entendu de nombreuses rumeurs sur certains élèves ayant été punis pour avoir enfreint le règlement dès le premier mois de cours, notamment parce qu'il avait fait partie des exécuteurs de punitions pour nombre d'entre-eux. Mais il se doutait qu'il s'agissait là de la partie visible de l'iceberg et que nombreux étaient ceux qui se permettait des choses encore plus farfelues et illégales. Il décortiquait au même moment le mouvement de la demoiselle, réfléchissant à son prochain coup à toute vitesse, écoutant d'une oreille distraite les mots de la Drathem alors qu'il approchait ses doigts du plateau :

« Ai-je mentionné à un seul instant durant notre rencontre que je possédais de sombres secrets ? Qui vous dit que je suis aussi intéressant que j'en ait l'air ? De plus, vous en fauteuil est au moins aussi intriguant que moi avec un œil en moins... »

Il bougea son cavalier de G8 à F6 : elle voulait jouer ? Il lui donnerait ce pour quoi elle est venue... Leur niveau aux échecs étaient inconnus, mais la partie s'avérait déjà prometteuse.

« Les apparences sont trompeuses mademoiselle Limeria, croyez-moi... Ma vie est bien plus ennuyeuse que ce que les gens s'accordent à dire ! Mais je suis certain que vous trouverez un moyen de voir si c'est vraiment le cas ou pas ! »

Fair Game

Leur jeu se mettait petit à petit en place, comme un champ de bataille sur lequel les bataillons se répartissaient pour l'affrontement final. C'était une guerre ouverte, un combat pour le secret de l'autre et également pour tester Victoria, voir si elle était vraiment aussi maline qu'elle en avait l'air ou si il s'agissait simplement d'un style qu'elle se donnait. Après tout, il doutait du fait qu'elle soit à son niveau, pensant qu'elle était plus débrouillarde que la majorité des élèves mais qu'elle n'en restait pas moins une apprentie en terme de stratégie et de manigances. Elle avait fait preuve d'une profonde intelligence lors de leur première rencontre, mais comme toute chose, il fallait vérifier si ce n'était qu'un coup de chance ou un réel talent qu'elle possédait. Il avait choisi les échecs car il considérait que c'était le jeu qui permettait de comprendre le mieux la personne qui y jouait : les pions étaient des testeurs, les mouvements choisis un indice sur la personnalité de l'adversaire. Lui avait appris à jouer auprès de son mentor, en avait tiré bien des enseignements, autant sur ses adversaires que sur lui. Comment jouerait Victoria ? Il avait hâte de le découvrir.

Il l'écouta parler des Wengyards sans rien dire, amusé par ses propos sans vraiment les relever. Peut-être que les violets profitaient de la baisse de vigilance du staff pour des sorties nocturnes, mais il était certain qu'ils n'étaient pas les seuls. Drathem, Wengyard, Namethia... Ils étaient tous pareils au fond et contourner le règlement était après tout l'une des joies d'être étudiant ! Seuls les Minspics n'étaient pas dans cet optique et en toute honnêteté, il trouvait ça limite ennuyeux ! C'était le jeu du chat et de la souris et si jamais il tombait sur un élève, sans doute le sanctionnerait-il... Mais il espérait bien que nombre d'entre-eux se risque à des escapades tardives : ça avait au moins le don de le distraire quand il faisait un tour en cuisines !

Puis vinrent les rumeurs à son sujet, comme quoi il aurait perdu son œil suite à une offrande à Darkrai ou quelque chose du genre. Cela le fit rire, peut-être parce que c'était farfelue, ou bien parce qu'il aurait aimé que ça soit le cas. Il y avait tellement de folklore à propos de la perte d'un de ses yeux qu'il trouvait ça distrayant, cherchant toujours à entendre quelque chose de plus gros à chaque fois. Certes, il y avait une histoire derrière tout ça, mais Victoria allait devoir se battre pour en apprendre plus à ce sujet... Elle voulait rétablir la vérité mais aurait à s'en donner les moyens ! Sans quitter le plateau des yeux, s'accoudant aux accoudoirs de son fauteuil en passant une main sur son menton, il bougea ses pièces et répondit sans quitter le plateau du regard, absorbé par la partie :

« Je n'ai malheureusement pas de lien avec Darkrai... Mais j'ai vécu de nombreuses histoires qui feraient passer les rumeurs à mon sujet pour des contes pour enfants... Quant à savoir si vous êtes intéressante, je vais bientôt pouvoir en juger... »

Il commençait d'ailleurs à douter de ce fait, voyant les défenses de la demoiselle s'ouvrir à la suite de ses coups. Aucun pion n'était encore tombé, aucune vérité n'avait été révélée mais pourtant la partie virait clairement à son avantage : c'était du vent, tout ce qu'il avait pu penser d'elle ? Allait-elle le décevoir au même titre que d'autres élèves dans cette académie... Il n'espérait pas mais semblait également se résigner. Ses gestes étaient brouillons, ses erreurs multiples et elle n'était qu'un pantin qu'il animait grâce à ses mouvements, grâce à sa stratégie. Il l'avait peut-être surestimé, y était allé un peu trop fort sans doute... Mais plus le temps passait plus il doutait des capacités de l'infirme. Elle tenta bien évidemment de rattraper ses erreurs, de le menacer sur le flanc... Mais elle se trompait dans l'analyse de la défense d'Oliver, elle le payerait très cher. Elle semblait intéressée par la chambre du professeur : tentative de fuite ? Envie de déconcentrer l'adversaire ? Qu'importe, il n'y ferait pas trop attention, marquant un léger silence après qu'elle ait pris la parole pour souffler :

« Vous savez ce que j'aime dans les échecs ? C'est qu'ils sont le reflet de la personnalité de l'autre... Chaque pièce est un aspect de l'âme... Pour ma part, j'affectionne particulièrement le cavalier ! Fiers et impétueux, comme dans les histoires anciennes... Ils représentent une attaque comme je les aime... Forcent l'ennemi à ouvrir ses défenses jusqu'à commettre une erreur... »

Il avait bougé son cavalier en H5, débordant alors le jeu de Victoria pour ouvrir de nouveaux horizons, la pousser à l'erreur. Elle bougea quant à elle son pion en E4, ce qui lui fit esquisser un sourire. Il se contenta cependant de reprendre avec un ton tout aussi instruit et collant parfaitement à son rôle de professeur :

« Le pion est une pièce encore plus subtile... Simple, elle est pourtant indispensable dans n'importe quelle stratégie. D'ordinaire il est employé pour contrôler des zones, avancer le front ou pour n'être qu'un appât. Il est à la fois la partie la plus sacrifiable de l'âme du joueur... Mais également la dernière véritable ligne de défense dont on possède ! Le bon joueur est celui qui sait manier son pion afin qu'il soit à la fois une menace et un bouclier... Les autres en revanche ont tendance à ne voir en lui qu'une pièce unidimensionnelle. Trop en retrait elle affaiblit votre jeu et vous empêche de sortir le reste de votre équipe, trop en avant... Il avança sa dame en H4. Elle révèle une défense trop... Fragile ! »

Il venait de mettre le roi de Victoria en position d'échec avec une facilité déconcertante, son œil rivé dans son regard avec un sourire aux lèvres. Il était partagé entre l'amusement et la déception, se contentant de voir comment elle tenterait de s'en sortir. Dans son discours, il avait autant attaqué la demoiselle qu'il avait attaqué son jeu, fort d'insinuations qu'elle avait à soulever à n'en pas douter. Il était beaucoup moins aimable avec elle maintenant, sans doute parce qu'il était atteint d'une certaine désillusion à son égard, que sa curiosité s'était un peu dissipée, pensant que tout ce qu'il avait décelé chez la jeune femme dans le parc n'était que du flan. Il la vit tenter de se défendre, la sanctionnant directement de son cavalier. Elle tenta un assaut sur son pion mais il riposta d'un autre mouvement, libérant encore le champ à sa reine :

« Echec... Je commence à penser que vous défier à un jeu aussi stratégique était une erreur ! Peut-être qu'un simple jeu de cartes comme ceux de vos camarades aurait suffit ! Votre intelligence d'il y a quelques semaines n'était donc que du bluff ? Je vais commencer à me demander si votre handicap n'est pas comme vos paroles : du vent... »

La provocation aux échecs n'était pas vraiment une stratégie fair-play... Mais ce n'était pas ce pour quoi il était là... Est-ce qu'elle se remettrait de cette première attaque virulente ou est-ce que comme sa défense, elle serait trop fragile pour supporter les assauts du professeur ?

Fair Game

Il avait gagné la partie, peut-être même depuis les premiers mouvements sur le plateau ! Contrairement à elle, il avait une stratégie, il savait vraiment jouer et il n'avait eu aucun mal à la mettre en difficulté, bientôt hors-jeu à en voir la tournure des évènements. Il aurait dû s'en douter : cette assurance, cette intelligence dans les yeux... C'était plus un moyen de protection qu'une véritable force qu'elle avait ! Du moins, c'était une force relative : il ne doutait pas du fait que cela marchait avec les autres élèves, que nombreux étaient ceux qui la craignait ou qui se faisaient avoir par elle. Mais lorsqu'elle tombait contre quelqu'un de plus fort, de plus fourbe, elle faisait bien pâle figure. Certes, il n'était pas donné à tout le monde de savoir bien jouer aux échecs et Oliver faisait partie de ceux qui pratiquaient souvent, mais même si elle n'avait pas le niveau, il avait sans doute naïvement espéré mieux de la part de la demoiselle. Ce n'était pas le cas et il ne pouvait qu'être déçu de ses performances....

Il avait lu l'angoisse et les remords dans ses gestes tout comme elle avait sans doute pu sentir la déception qui s'emparait de lui, ayant quitté sa position dominante du plateau, de maître tacticien pour celle d'un joueur du dimanche, la main appuyée sur son poing fermé, légèrement affalé dans son siège. Chaque coup qu'il faisait sanctionnait la jeune femme, cette dernière se débattant vainement contre son bourreau sans réussir à prendre plus que des pièces qu'il utilisait comme appât. De son côté, le cavalier frappait sans vergogne sur la faible défense de la blondinette, ouvrant une voie royale à une reine magistrale. Elle avait ressenti la manière punitive du jeu d'Oliver et bien que ce soit assez évident, elle eut raison de le souligner : il n'avait pas l'intention de faire le moindre cadeau... Un peu comme dans la vraie vie à dire vrai !

« Mes sanctions ne sont pas brutales, ce sont vos défenses qui sont beaucoup trop douces, presque... Insipides... Ce qu'il y a d'intéressant chez le cavalier, au delà de son aspect fringant bien sûr, c'est qu'il est... Imprévisible ! Ses attaques sont vicieuses, ses mouvements difficiles à anticiper, ma pièce préférée en somme ! S'il peut paraître vulnérable, même parfois incapable de prendre les pièces les plus évidentes, il possède les angles d'attaques les plus intéressants, se jouant du front en se glissant derrière pour révéler les faiblesses de l'adversaire... Même si parfois ces faiblesses sont un peu trop évidentes... »

Ses pièces bougeaient comme autant de lames meurtrières qu'il pourrait porter à sa gorge, chaque pion était une menace potentielle, chaque zone était habilement contrôlée... Elle savait qu'elle avait perdu, le prenait presque avec le sourire : naïf et presque un peu niais à son goût... Il l'écouta parler avec un petit sourire au coin des lèvres, se contentant de répondre :

« Je crains de ne pas pouvoir vous répondre, je n'ai jamais trouvé quelqu'un ayant réussi à me tenir en échec... Vous en revanche... »

Il mit fin à la partie juste après ces quelques mots, couchant le roi de la demoiselle sur le plateau pour signifier sa victoire un peu trop facile à son goût. Les prises étaient inégales mais malheureusement, l'intérêt qu'il portait à présent à la Drathem n'était plus à la hauteur de sa récolte. Si elle était contente, lui était las et bien moins enthousiaste qu'en début de partie. Tout comme d'autres rencontres qu'il avait fait par le passé, celle là était aussi décevante que les autres...

« Nous verrons bien ce que les prochaines rencontres nous réservent... »

Il se leva alors, parcourant la pièce afin d'aller jusqu'à son bureau, se servant un verre de scotch avant d'allumer sa pipe en ouvrant la fenêtre. Il l'écouta en silence, avant de s'adosser contre le meuble en la regardant :

« J'ai bien peur de ne plus avoir beaucoup de questions à poser qui susciteraient mon intérêt pour vous mademoiselle Limeria. Vous êtes peut-être intelligente, sans doute plus que la plupart de vos camarades... Mais je pense vous avoir surestimé à notre première rencontre. Mis à part entendre l'histoire derrière la perte de vos jambes, je crains qu'il n'y ait rien au monde que vous pourriez m'offrir pour satisfaire ma curiosité ni mon intérêt... »

Il porta le verre à ses lèvres pour s'en délecter, fermant un instant son œil comme pour mieux profiter du doux breuvage. La rencontre avec Victoria avait été en quelque sorte un soufflé... Mais il ne pouvait que s'en vouloir : il était un éternel optimiste malgré tout, à toujours vouloir voir plus de potentiel chez les gens que ce qu'ils en avaient vraiment...

« Ne vous retenez cependant pas de me poser les quelques questions auxquelles vous avez droit... Je jugerais de si votre jeu a mérité que je vous offre les réponses que vous attendiez... »

Une récompense qu'il n'était même pas sûr qu'elle mérite, mais au moins cela retarderait un peu la mise à la porte de l'infirme...