Elle laça ses lacets noirs en gestes endormis, de longues mèches rouges tombaient en cascade sur son corps encore partiellement dévêtu. Un soupir faisait ronronner sa poitrine et ses yeux finirent tout naturellement par se fixer sur une lucarne de la chambre. Le bruit des gouttes s’écrasant contre la paroi comme une armée de kamikazes ne l’avait pas trompé. Le temps était à l’inondation.

Comme Sasha s’en moquait, elle prit le pantalon d’un garçon de la chambre 004 car elle ne doutait pas un instant que le froid allait attenter à sa vie si elle avait l’impudence de porter une jupe pour sortir. Le mec qu’elle volait était de toute façon une petite silhouette tassée et rempli d’ondes agressives. Il n’aurait même pas le cran de lui réclamer le pantalon. La Wengyard passa plusieurs fois la brosse dans son cuir chevelu y accrochant quelques fils rouges avant de rassembler le tout dans une tresse unique et guerrière.  Elle songea à Odette qui se reposait encore dans sa pokéball et accrocha la sphère bicolore à la ceinture –elle aussi emprunté. Un pull et son sac sur le dos, Sasha prit le chemin de la sortir prenant son parapluie au passage.

Objectif Aoden, Sasha y allait pour explorer et parce qu’elle en avait l’autorisation. La crainte de braver l’interdit était revenue plus forte que jamais avec ses deux derniers plans. Le parapluie s’ouvrit comme une chauve-souris au-dessus de sa tête et la rousse regretta de ne pas avoir pris de bottes en caoutchouc. Elle haussa les épaules, avec un peu de chance elle ne rentrerait pas bredouille. Devant la route découpait les collines la vallée comme un immense serpent de sable. La Stern observait avec inquiétude les flaques menaçantes qui se formaient de part et d’autres de son chemin et redoublait d’attention dans ses déplacements. Odette n’avait pas l’air prête à se montrer alors sa dresseuse pris la liberté d’allumer un peu de musique avec des écouteurs. De loin on pouvait apercevoir un corps mince avancer, protégé par un dôme de toile mauve.

La mélodie de la pluie n’avait rien de charmant en fait, c’était monotone et… humide. Sasha avait réglé le volume de son téléphone au maximum pour s’épargner les lamentations du ciel. Des voix féminines et graves bourdonnaient dans son esprit sur un fond de guitare acoustique. L’envie de fredonner lui vint, mais la certitude de chanter faux la bloquait. Elle jeta un œil à la vallée, déserte. Le champ est libre, profite. Les premières notes furent hésitantes mais bientôt la Stern s’en donnait à cœur joie criant plus qu’elle ne chantait les paroles. C’est la voix sinistre et coléreuse d’un homme qui la stoppa net « C’pas bientôt finit ce boucan ?! ». Honteuse, la rousse baissa les yeux en rougissant et accéléra pour dépasser la maisonnette dont les volets c’étaient ouverts en claquant. Une centaine de mètre plus loin, elle pestait à voix autre contre cet homme injuste qui croyait pouvoir lui dicter sa conduite. Elle vérifia qu’il était trop loin pour la rattraper même en courant et se mit à hurler les paroles de « Oops I did it again ».

Quand elle revit la tête du vieillard sortir des volets et ses yeux furibonds, la demoiselle fut tentée de se taire et de partir en courant mais une révolte intérieure lui donna l’audace de brandir son majeur en beuglant encore plus fort avant de repartir en vérifiant à plusieurs reprises qu’il ne la suivait pas. Un miracle voulait que le grincheux soit moins tenace qu’elle le pensait en voyant son visage car une minute plus tard il n’y avait toujours pas de danger en arrière. Le vrombissement d’un moteur l’avertit, un frisson ébranla son corps menu avant que la jeune fille ne se retourna pouvoir le démoniaque tracteur rouge qui venait d’apparaître au loin. Le monstre était énorme, il devait facilement atteindre les huit tonnes et ses roues étaient aussi hautes que l’académicienne. On distinguait de façon floue le visage empourpré de colère de son conducteur à travers le pare-brise sale de l’engin.

Sasha en oubliait sa dignité et son courage, elle se mit à courir aussi vite que lui permettait sa silhouette athlétique désespérant d’entendre le bourdonnement du moteur se muait en rugissement. Le teint de la Wengyard était devenu livide, elle aurait donné n’importe quoi pour trouver l’embouchure d’une ville où quelque chose s’en approchant. « A l’aide ! Au secours ! Aidez-moi ! » s’égosillait-elle à présent, mais la campagne demeurait rase et silencieuse à son plus grand désarroi.

Sasha faillit s’étouffer en entendant les paroles du vieil homme. Son esprit bouillonnait de colère contenue contre ce vieillard croupissant qui sentait la bouse d’écremheu. Elle lui en voulait d’être aussi impitoyable avec ses qualités de chanteuse. On ne pouvait pourtant pas se le cacher, Sasha ne valait guère mieux que la grosse marmite des cuisines de Primepoc quand elle essayait d’aligner les notes. Autrefois, la petite Stern avait exigé qu’on lui donne des cours mais ses parents avaient décidé d’un commun accord que le cas était trop désespéré pour qu’un tel investissement soit envisageable. A l’âge de huit ans, la rouquine méprisait toutes les pimbêches qui chantonnaient d’une façon insupportablement juste les musiques des stars de la musique. Cette aversion avait fini par être temporisée par l’idée que même si un être humain était plus talentueux qu’elle dans un domaine, il était de son devoir de fille plus intelligente de sympathiser avec lui pour le dépasser. Sasha ressassait son passé dans le tracteur de l’agriculteur qui l’avait finalement relevée puis embarquée.

Maintenant que son visage s’était débarrassé de son masque haineux, l’homme parlait d’un ton jovial. Parfois, il soulevait une main du volant pour montrer au loin la plantation de M. Patate ou lui indiquer que si elle était attentive on voyait régulièrement des vivaldaims traversaient telle ou telle zone. L’élève était encore trop vexée pour répondre amicalement à son chauffeur mais elle gardait à l’esprit les informations qui lui paraissaient utiles pour la suite de son périple. Le roulement cahoteux du véhicule rendait la fille nauséeuse mais cette dernière s’efforçait de prendre son mal en patience : elle serait bientôt sur les flancs de la montagne. Quand Jacques, le prénom de son conducteur, la déposa devant le pont qui reliait le continent à l’île, Sasha s’efforça de lui adressait son plus beau sourire et lui fit des signes de la main pendant qu’il s’éloignait dans un nuage de fumée noire.

La rouquine ouvrit le parapluie et se tourna vers sa future conquêtes : montagne victorieuse. Très genre, très large avec des pierres taillées comme des silex sur son flanc. On ne distinguait pas son sommet et de toute manière on ne s’imaginait pas l’atteindre, c’était troublant comme vision de puissance. Sasha se sentit réduite à l’état d’une misérable Fermite. Une fierté l’envahit à l’idée de poser ses pieds sur ce géant, de rencontrer les créatures curieuses et sauvages que son cœur renfermait. L’eau continuait de ruisseler sur son parapluie et la montagne, le ciel assombrit donnait des allures d’apocalypse à la scène. Comme la dresseuse ne se voyait pas continuer son exploration seule, elle libéra Odette de sa pokéball.

. ■ Fuite de Chenipan ■ .
. ■ Apparition d'un pkm sauvage - Montagne victorieuse - Zone A ■ .
. ■ Merci pour les modérations Coeur ■ .

La crocodile sortit en émettant un gazouillis joyeux, être enfermée ne sied guère à l’indépendante créature. Pourtant sa bonne humeur se mua rapidement en un grognement ronchon quand la pluie commença à s’écraser goute après goutte sur ses naseaux secs. Quel temps infâme. Odette voulut immédiatement regagner sa prison où, au moins, l’air était sec. Sa dresseuse n’était pas du même avis et rangea la sphère bicolore tout au fond du sac. En le faisant, elle évita soigneusement le regard de sa compagne qui, elle le savait, était chargé de haine et d’impuissance. Sasha haussa les épaules en signe d’excuse et dit d’une voix égale :

« Tu vas pas me laisser à la merci de cette immensité ? »

Le regard noir et intelligent de la bestiole crier « Si et sans aucune hésitation », alors la demoiselle se vexa et releva nez avec un petit air de dédain tout à fait immature. Ce que ce crocodile pouvait lui cherche comme noise quand même, elle l’emmenait vivre une aventure grandiose et en retour ? Rien ! Même pas un silence docile. La créature d’écailles fauves avait choisie de manifester son mécontentement en émettant de petits cliquetis dents angoissant qui menaçait de rendre la rouquine dingue. Les deux membres de la gente féminine était incroyablement tenace, Odette persistait dans son cliquetis et Sasha s’efforçait de maintenir le parapluie loin de la tête de sa partenaire. Ce n’était pas très habile comme jeu, car à tout moment un pokémon pouvait surgir du petit chemin qui serpentait sur la falaise et les prendre en défaut. Pourtant rien au monde n’aurait pu contraindre ni l’une, ni l’autre a cessé.