Aleksandra, tu pénètres dans le sombre rideau d'arbres sans même sembler te soucier des ombres qui grouillent, à l'abri des feuilles. Tu te crois bien trop digne pour avoir peur alors qu'en vrai, ton coeur se serre là, au fond de ta poitrine. T'as peur d'être en échec comme tu l'es si souvent mais ça, tu refuserais de te l'avouer. Tes pensées s'éparpillent dans tous les sens et les "si" bombardent ton esprit.

Le son des pas de Fenrir à tes côtés t'apaise, comme une berceuse enfantine. Tu ne te le pardonnerais jamais si une fois de plus, il serait la victime de ton incompétence. Cette fois, tu arriverais à être forte. Forte pour lui, forte pour arriver à ton but. Oh oui, tu en es persuadée Aleks. Tu seras tout en haut un jour. Et agrandir ton équipe est la première marche qui te mènera vers la gloire.

Tes doigts d'ivoire caressent la fourrure enflammée de ton compagnon, comme pour y chercher du réconfort. Il tourne la tête vers toi et plonge ses grands yeux canins dans les tiens, établissant une fois de plus l'étrange lien qui vous unit. La tension dans ses muscles te fait comprendre qu'il est prêt lui aussi et son regard brille de la même lueur de détermination que toi.

Aleksandra, tu te tiens droite et fière. Tu te répètes qu'il n'y a aucune raison que quelque chose se passe mal, comme une ritournelle dans ta tête. La détermination afflue en torrent dans ton âme et tu sais : aujourd'hui tu seras vainqueur. Tu ne sais pas vraiment pourquoi tu as choisi les épais bois de Tepône, mais maintenant tu y es. Et tu ne comptes pas repartir sans pouvoir te vanter, dans la plus grande des délicatesses évidemment, de ta prise.

Tu oses espérer ton compagnon puissant et impressionnant. Mais tu doutes que tes capacités et le lieu choisi te permettre telle rencontre.

Tu te sens vivante en foulant l'herbe émeraude. T'as le coeur gonflé d'adrénaline parce qu'après tout, c'est la première fois que tu es seule face à la nature, seule face aux multitudes de mystères qui ne demandent qu'à être découverts. Ta tête est toujours pleine de doutes et d'interrogations, mais l'excitation prend peu à peu le pas. Tu as envie de trouver la perle rare cachée entre ces arbres, le pokémon qui te rejoindra dans ta quête de la puissance. Celui que tu auras choisi.

Tu as à peine le temps de te rendre compte qu'à tes côtés Fenrir s'est immobilisé qu'il se met à grogner. Mêlée à de la peur, la griserie s'empare de toi : cette méfiance de la part de ton brave camarade ne peut vouloir dire qu'une chose. Un pokémon se trouve à proximité. Tu le cherches des yeux mais ton regard ne rencontre que des feuilles, toutes plus vertes que la précédente. La même tension monte en Fenrir et tu sais qu'il n'a qu'une envie : détendre ses muscles puissants pour un chiot de sa taille et s'entraîner. Être libre et redoutable.

Lorsque finalement, une silhouette se détache à ta gauche, tu dois presque retenir ton soupir d'exaspération. De déception sûrement, aussi. Un petit Judokrak marche au loin en gardant un oeil attentif sur le caninos, prêt à se battre au moindre mouvement brusque. Un pokémon si vulgaire et brouillon que celui-ci ne mérite pas ton attention, et encore moins la gloire de faire parti de tes rangs. Il est hors de question qu'il te fasse perdre ton temps si précieux et tu sais que tout cela sera réglé rapidement.

Une main se pose sur le duvet roux de Fenrir, l'apaisant instantanément. Il cesse de grogner et se contente de fixer l'humanoïde rouge, les yeux pleins de méfiance et de dédain. Puis, la tête de ton beau s'appuie contre ta cuisse, comme pour te demander ce que tu veux faire. Et tu sais ce que tu désires Aleksandra, c'est gravé dans ta peau depuis si longtemps.

« Fenrir, montre lui qu'il n'est rien. Montre lui ton plus beau hurlement. »

Un frisson agite les poils enflammés de ton caninos et tu pourrais presque deviner un sourire se peindre sur son visage. Une inspiration, et un hurlement déchire la forêt.  
Et le Judokrak détale sans demander son reste.

Dès que la silhouette du Judokrak s'éloigne en s'enfonçant dans le mur de troncs, un sourire naît sur ton visage. Tu te sens comme victorieuse alors que tout ce que tu as fait, c'est faire fuir ton adversaire. Le hurlement de Fenrir ne pardonne à personne, pas même les ennemis les plus coriaces. C'est la terreur qui se propage et te glace les veines, c'est un son qui fait trembler les coeurs les plus féroces. Et tu as beau savoir que c'était gagné d'avance, tu ne peux t'empêcher de ressentir une satisfaction, là, au fond de ta poitrine. T'es fière comme un vipélierre, Aleksandra.

Tu te remets à marcher comme si de rien était, ignorant tes pieds endoloris. Cela fait un moment que tu erres et tu te rêves déjà à penser à l'évolution de ton beau Fenrir, que tu puisses voyager à dos de ton immense Arcanin. Mais non, si Fenrir est déjà grand pour un caninos, il n'en demeure pas moins un caninos. Et cela veut dire un voyage à pieds, malheureusement pour toi.

T'espères ne pas être déçue à la prochaine rencontre mais à peine cette pensée se formule-t-elle dans ta tête qu'un immense insecte passe devant toi. Un frisson de dégoût te parcours quand tu contemples le corps épais de la bête qui avance rapidement de ses courtes pattes. Tu as horreur des insectes et les Venipatte ne sont pas l'exception de cette règle. Tu sais qu'un jour, tu te devras de capturer un pokémon de type insecte pour consolider ton équipe mais tu n'es pas prête. Pas maintenant. Les poils sur tes bras s'hérissent quand celui-ci s'avance dans ta direction, aveugle à ta peur. Il semble presque ne pas t'avoir remarquée mais tu t'en moques. Tout ce que tu sais, c'est qu'il s'approche de toi si vite que tu t'en retiens de crier.

Tu n'as pas besoin de le dire à Fenrir pour qu'il comprenne que tu as peur de ce pokémon. Ton caninos ne comprend pas pourquoi quarante centimètres, qu'il pourrait aisément écraser, te terrifie à ce point mais il ne cherche pas à en savoir plus. Son seul but est de te rassurer et de revoir un sourire s'épanouir sur ton visage. Il aime l'assurée et douce Aleksandra, pas cette Aleksandra au visage apeuré.

Tu sursautes en entendant son hurlement, auquel tu ne t'attendais pas. Mais un soupir de soulagement vient pousser au bout de tes lèvres dès que le Venipatte se met à grouiller dans la direction opposée, à une vitesse ahurissante. Pourquoi donc Arceus a-t-il permis la création d'une telle chose ? Si un Brutapode respire la puissance, un Venipatte ne t'inspire que le dégoût. Si jamais tu veux un jour en attraper un, ce serait après un long débat psychologique avec toi-même.

T'as la satisfaction au bout des lèvres, Aleksandra, quand tu vois l'insecte s'éloigner à vive allure. Mais tu perds bien vite le sourire dessiné sur tes lèvres lorsque tu te rends compte que ce pokémon, c'était une des chances d'avoir un ajout puissant dans ton équipe. T'aurais pu avoir un fier Brutapode dans le futur, mais tu as laissé passer cette chance à cause de ta peur idiote. Plus qu'une peur, un dégoût viscéral. En réfléchissant, tu te convaincs que tu aurais pu passer outre ce dégoût, que tu aurais du voir la puissance dans le venipatte, et non pas la bestiole.

Alors, tu commences à fumer intérieurement. Tes sourcils se froncent de plus en plus au fil de ton cheminement intellectuel. La mauvaise humeur bouillonne en toi, d'abord doucement, puis plus vivement. Elle coule le long de ton corps, elle atteint même l'innocent Fenrir à tes côtés. Qu'est-ce que t'es conne Aleksandra. Qu'est-ce que t'es inutile Aleksandra. Tu te jures de plus laisser passer cette chance, de retenir ton aversion, d'ignorer les pulsions négatives de ton coeur. Tu marmonnes dans ta barbe et tu te maudis. Tu sais normalement te contrôler, mais là tu as tellement honte de toi-même.

Fenrir pousse sa tête contre tes cuisses. Il se rend bien compte que tu es en colère, en colère contre toi. Mais Aleksandra, t'es trop prise dans ta propre stupidité pour le rassurer, tu te contentes de te détester un peu plus. Comment prétendre à la puissance quand l'intelligence fait défaut ?

Un petit cri attire ton attention, plus murmure que cri, plus chant que murmure. C'est mélodieux, ça apaise tes oreilles et ça calme ton esprit. Tes yeux se posent sur le Chinchidou, posé dans les branches, qui se balance gaiement. Tu plantes fermement ton pied dans le sol.

« Qu'est-ce que tu fais Aleks, mais qu'est-ce que tu fais ? »

Rien ne sert de se haïr, rien ne sert de se maudir. T'es pathétique quand t'es comme ça Aleksandra, et tu le sais. Tu te rejettes la faute, tu écorches la moindre parcelle de ton corps de tes regrets et de tes reproches. Mais ça ne sert à rien, c'est pas avec ça qu'on domine. C'est la preuve même de la faiblesse d'esprit et ça, tu refuses de le laisser passer. Tu t'abaisses au niveau de Fenrir, colle ton front contre le sien, et tu te poses. Tu réfléchis à tout et à rien, tu profites seulement de ce moment avec ton beau.

T'as juste besoin de ressourcer tes batteries Aleks.

Ton humeur semble labile dans ces bois, Aleksandra. Tu passes de la peur à la détermination en un clin d'oeil, comme si t'as toujours été lunatique. Tu soupçonnes Fenrir d'être à l'origine de ces élans de motivation qui poussent en toi : tu le sais être ton arc-en-ciel en jour de pluie. C'est lui qui te fait ouvrir un oeil émerveillé sur ce qui t'entoure, lui qui te donne ta force et ton ambition. Son front brûlant contre le tien te le rappelle et un doux sourire apparaît sur ton visage. Fenrir a un don, il lave ton coeur de ses impuretés et ce débarbouillage te fait un bien fou. Il te permet de rester concentrée, de garder tes objectifs dans ton champ de vision.

Alors quand tu entends le bruit strident d'un venipatte proche de toi, tu es prête. L'apparition d'un autre de ces pokémons après ton débat mental ne pouvait être une coïncidence. Tu te lèves tout en délicatesse, tes chaussures foulent l'herbe de leur grâce et tu regardes le pokémon qui grignote quelques giroles un peu plus loin. Les chanterelles le rendent visiblement fort heureux, si l'on constate les petits cris que la bête pousse de temps à autre. Tu retiens ton dégoût au fond de ta poitrine, car tu sais que ce venipatte n'est que duperie. Il te manipule pour te faire voir sa faiblesse, quand tu dois voir au delà. A l'instar d'un Teddiursa trouvant sa force dans l'Ursaring, le pokémon qui te fait face représente le fier Brutapode.

Tu fais un pas en direction du venipatte et t'apprêtes à distraire le pokémon de ses champignons quand tu tombes. Chute, gamelle, tombée, dégringolade ; tant de synonymes de honte. Le nez dans l'herbe humide, la main dans une flaque boueuse, la colère monte si rapidement en toi. Tu ne t'énerves jamais, seulement voilà : Aleksandra ne tombe jamais, Aleksandra est parfaite en tout temps. Tu retiens un cri de frustration en te relevant et tu grimaces en contemplant le résultat. Tu portes ton uniforme aujourd'hui et le résultat de ta chute est un désastre : ta jupe noire est ponctuée de tâches claires, ta cravate mauve tire vers le marron et ta main gauche est hydratée par un liquide brunâtre et pestilentiel ; encore heureux que ta montre soit étanche.

Tes sourcils se froncent et tu diriges toute ta rage vers le pauvre venipatte, inconscient de la scène qui vient juste de se passer. Aleksandra, tu fumes, tu bouillonnes et tu t'apprêtes à éclater. T'as un peu de mal à comprendre que l'échec est humain, tu ressens cette gamelle comme un défi. Ce serait presque un anachronisme de te définir en tant que harpie tant ta colère semble intemporelle. Toi, d'ordinaire si polie, tu dégoises des insultes dans ta barbe à une vitesse hallucinante. Et la flamme qui brûle dans tes yeux est adressée à ce venipatte : tu vas le soumettre à toi, tu vas le capturer et lui faire comprendre qui est le maître. Tu vas le faire frire et le retourner à la spatule, l'aplatir et le dévorer. Oh Aleksandra, t'es en colère.

Tu espéres que ce pokémon avait point poison, comme la plupart des Nidoran, cette capacité te serait bien utile. Même si la rage t'aveugle partiellement, tu ne perds pas de vue tes objectifs. Ton ambition est trop forte pour ça.

« Fenrir, crame-le. »

Et dans ta tête, tu pouvais presque entendre les trompettes d'un air de jazz acclamer ta future victoire. T'en étais persuadée, Aleks, pour ce venipatte, c'était le début de la fin.

Dès que tes mots atteignent les oreilles de Fenrir, il ajuste instinctivement sa position et le moindre de ses muscles se tend, se prépare pour le combat. Il aboie un bref coup pour retenir l'attention du Venipatte et l'effet est presque immédiat : la bestiole pivote et toute son attention est accordée au pokémon au pelage de feu. Tu es spectatrice et médiatrice de ce combat, Aleksandra, c'est au tour de Fenrir de briller.

Il bondit en avant vers sa cible et, dans un nuage de petites flammèches, il incendie sa cible. Si le venipatte essaie de se défendre de son mieux en lui lançant un dard, qui se fige dans l'épaule de Fenrir, cela n'arrête en rien ton compagnon. Celui-ci continue à souffler du feu qui engloutit ta cible et la brûle autant qu'elle lave l'affront que tu as subi plus tôt. Puis, les flammes s'évaporent presque aussi vite qu'elles étaient apparues, comme si elles n'étaient qu'eau, et tu constates ta victoire.

Le venipatte s'est laissé tomber sur le côté et Fenrir court dans un peu tous les sens pour fêter la défaite de l'insecte. Tu t'approches, t'agenouilles aux côtés du pokémon K.O et l'examine de plus près. Maintenant qu'il est immobile, le dégoût est entièrement passé et tu en viens presque à ressentir une étrange fascination pour cet être. Tu ne peux t'empêcher de penser que désormais, ce pokémon est tien et qu'aux côtés de Fenrir, il viendra s'asseoir sur le banc de tes compagnons. La simple idée te grise, Aleksandra.

Ta main fouille dans ton sac et, parmi les multiples mystères qu'il contient, tu en tires une sphère écarlate. Tu portes la pokéball au niveau de tes yeux : c'était la première fois que tu t'en servais. L'excitation monte en toi une fois de plus, et tu ne peux t'empêcher de laisser un sourire de satisfaction apparaître sur ton visage. Putain ce que t'es fière.

Ton premier véritable combat, et c'était un jeu d'enfant. Tu te sens comme une gamine dans un magasin de sucreries, t'as les yeux qui pétillent et le coeur qui palpite. T'es presque forte Aleks, presque.