Tu n’étais pas du genre couche-tôt, bien au contraire. L’oiseau de nuit que tu étais, dont le rythme de vie était hélas chamboulé par des horaires aléatoires, ne se souciait cette nuit-là que d’un tout petit petit bémol. Que faire ?

▬ Oui, que faire ?!

T’étais-tu écrier dans un râle de désespoir, tout en constatant avec accablement que la manette et la télécommande étaient toutes deux trop loin pour être atteintes en tendant simplement le bras. Tu renonças donc tout bonnement à te lever, préférant te vautrer dans ton lit, allongée sur le dos, les jambes tendues contre le mur.
Tu n’avais pas eu à attendre très longtemps pour que ta bonne étoile fasse un geste contre ton ennui profond –qui consistait ici à regarder le plafond, en faisant les plus grosses bulles possibles avec un chewing-gum, un véritable challenge-, ton portable se mit à vibrer dans ta poche, preuve que tu avais des amis.
S’en suivi alors quelques sms échangés avec Maksimilian, Maks, Maksou –variable selon les humeurs-.

▬ Même si Maksou, c’est pas terrible.

Tu trouveras mieux, trop tard pour réfléchir.
M’enfin, allez savoir comment tu avais fini par lui proposer de venir.

▬ Il s’est invité un peu.

Mais t’as pas dit non.

▬ J’ai juste dit que les clefs étaient sous le paillasson. Je suis clean.

Le tout avec un air tout à fait innocent, sans doute pour prouver à une quelconque instance divine que tu n’y étais pour rien, rien du tout.

Quelques minutes plus tard, tu entendis le doux bruit de la clef se battant avec la serrure –une horreur, cette serrure parfois- et tu aperçus le wengyard débarquant son sac sur l’épaule, bien qu’il s’en débarrassa sur le palier tout en refermant la porte derrière lui.

▬ J'ai cru que j'y arriverais pas, aha. J'ai pris deux bouteilles, comme promis. Tu me couvres si Miaouss m'a vu, hein? On dira que c'est pour je sais pas quoi. On s'en fout ! C'est l'heure de s'amuser.

Tu te redressas –pas sûre que ta chandelle improvisée soit une manière décente d’accueillir un invité-, allant même jusqu’à te lever –exploit- en croisant les bras, un large sourire pendu à tes lèvres.

▬ On dira que… Je t’aide à faire tes devoirs.

Ouais, non. Mauvaise excuse, très mauvaise excuse.

▬ T’as raison, c’est bidon comme excuse. On trouvera mieux. Bon, allez ! Fais voir ce que t’as ramené de beau.

Et sans demander ton reste, tu t’approchas avec une curiosité mal dissimulée, cherchant les dites bouteilles du regard.

Tu te creuses la tête à la recherche d’une excuse, un truc bidon, une simple phrase que ce foutu chat pourrai gober. Ta petite voix te souffle des idées parfois, des bonnes et des moins bonnes, mais tu n’as pas grand-chose de concluant. Miaouss, il te connaît, assez pour savoir que tu n’es pas un exemple pour les élèves, ni un soutien pour eux.  
Finalement, c’est ton invité qui trouve la solution, servie sur un plateau d’argent, le tout dans un service en porcelaine :

▬ On dira que tu m’as appelé pour m'engueuler parce que t'as trouvé de l'alcool dans mon sac quand j’me suis incrusté chez toi, aha. C'est la moins pire de toutes les idées, je trouve.

Tu approuves avec un large sourire, petite voix aussi avant qu’elle ne se dissipe, la vilaine, et pose les vraies questions. Où sont les bouteilles beau blond ?
Attentif à ta requête, Maks sort les précieuses, te les montre avec fierté et tu les fixes avec toute l’envie du monde même si tu ne t’y oses pas. Tu te sens Eve devant la pomme et Maks a des airs de serpent venu te tenter. Que l’humanité souffre sur des générations, tu t’en fous, t’as soif !

▬ J'ai ramené une bouteille de Vodka, parce que c'est la valeur sûre et que ça marche à tous les coups, et une petite bouteille d'alcool de chétiflor, ça c'est perso. Tu m'en diras des nouvelles, c'est à ça que je me suis déchiré la face les 6 derniers mois. On dirait pas, comme ça, mais c'est super bon. Et super fort.

Briefing express, tu salives déjà –ton foie lui souffre d’avance-. Alcool de chétiflor, variable inconnue, ton esprit fait le calcul et très vite petite voix te supplie pour en avoir un peu.

▬ J’aime quand tu parles comme ça Maks. Arrête de me vendre du rêve.

Tu rigoles, une touche d'ironie dans la voix. Ton doigt glisse contre la surface humide de la bouteille de vodka, fraîchement sortie du réfrigérateur semble-t-il.
Il précise :

▬ J'espère que t'as de quoi couper, parce que sinon dans 10 minutes on se roule par terre

Oh malheureux. Petite voix s’indigne. Il veut couper de l’alcool avec du petit lait. Tu fronces les sourcils, dubitative, levant le doigt comme si tu t’apprêtais à ajouter quelque chose. Mais finalement tu lui fais signe de patienter pour aller chercher deux verres, les disposant sur la table basse au milieu de ta piaule. Tu n’oublies pas les dessous de verre –tu es civilisée, bon sang- et tu invites le jeune homme à se poser sur ton lit –un peu en désordre, mais rien d’alarmant-.
D’ailleurs, à la réflexion, tu réalises que ta chambre est dans un désordre minimal –parfait en somme- quelques fils qui traînent au pied de l’écran, un vitrail en bouteilles planqué dans un carton, pas un vêtement sale qui traine. T’as assuré sur ce coup là.

▬ Fais-moi voir ton alcool de chétiflor. J’espère que c’est pas aussi moue que la bête sinon une bouteille ça risque de ne pas être suffisant.

Oh, au pire tu dois bien avoir une bière survivante, ou deux. En cherchant bien, tu ne doutais pas d’en dénicher.

▬ Et sinon, avec quoi tu veux couper ça ? De la flotte ? Pitié, me force pas à gâcher de l’alcool comme ça, ce serait sacrilège.

Tu fais les yeux suppliants, tes yeux d’enfant battue –dont la crédibilité reste à prouver- poussant ton verre du dos de la main pour l’inciter à ouvrir les hostilités. C’est bien beau de vendre du rêve, mais faut en donner maintenant.

▬ J'étais presque persuadé que je te vendais du rêve rien qu'en venant, mademoiselle Indiana.

Mademoiselle ? Vraiment ? Tu pouffes de rire bêtement dans ton coin en le fixant d’un air faussement désemparé. C’est trop sérieux de se faire appeler mademoiselle. Et dieu sait que tu n’es pas sérieuse.

▬ Oh monsieur Maksimilian, tu prends la grosse tête.

Tu lui mets un léger coup de coude dans les côtes, comme pour lui remettre les idées en place. Mais ça ne te dérange pas, au contraire. Ce genre d’exubérance te fait rire.
Finalement, il semble avoir une petite idée de comment « réduire » l’effet de l’alcool de sa petite spécialité maison. Pour ne pas finir par « rouler par terre », comme il le dit si bien. Tu restes curieuse, même si tu sais qu’il faudra plus d’un verre –oh bien plus- pour t’achever. Ton foie en a vu des pires, des biens pires.

▬ On pourrait couper ça avec un tout petit peu de jus de Tropius. Et sinon, j'ai autre chose pour faire passer l'alcool. Un peu d'herbe de ma réserve personnelle, un petit pet' venu tout droit de chez les Wengyard.

Du jus, pas idiot. Tu prends l’idée en considération en fixant le liquide translucide dans sa bouteille. On fait des mélanges conceptuels avec ce machin-là –même si en général c’est en fin de soirée que tu essayes de descendre ton taux d’alcoolémie avec des mixtures innovantes-.
Puis tu butes sur la deuxième idée. Un petit pet’ ?

▬ Pas que je sois contre les nouvelles expériences mais j’pense qu’un petit pet’ ça risque de faire l’effet inverse.

Bwah remarque, toi tu t’en fous. Ton seul souci, c’est de savoir si le jeune homme atteindra les waters avant de rendre son dîner. C’est terrible à nettoyer, la gerbe. L’odeur est tenace.
Finalement tu récupères ton verre, vierge de toute mixture pour le moment. Pas peu satisfaite d’en avoir réchappé, tu fais tourner le liquide dans ton verre avec une fascination curieuse, comme un félin qui regarderait un poisson tourné dans son bocal.

▬ On commence par ça, on verra après ? Ah, et si on trinque, c'est dans les yeux, sinon pas de sexe pendant 7 ans !

Tu acquiesces, tendant ton verre vers le sien pour trinquer. Le bruit de verres s’entrechoquant résonnent doucement dans la chambre –assez pour ne pas réveiller la chambre voisine, tu supposes- sans que tu ne lâches des yeux ton camarade.

▬ C’est cruel comme châtiment ça, pas de sexe pendant 7 ans.

La légende urbaine raconte déjà qu’une semaine d’abstinence est une dure épreuve pour un homme. Alors 7 ans. Le cauchemar.
Mais tu ne te perds pas dans davantage de pensées superstitieuses, reportant ta toute entière attention sur la boisson. Tu trempes tes lèvres dedans, sans ciller malgré le bon dosage en alcool, appréciant les arômes d’un palais expert. Verdict, ça vaut son pesant de cacahuètes. Assez pour que tu surveilles le blond d’un œil inquisiteur en sirotant tranquillement le contenu de ton verre, au cas où il ne supporte pas si bien son alcool de chétiflor qu’il ne veuille bien le faire croire.

▬ Pas trop fort, si ?

▬ J'ai l'habitude de prendre la grosse tête, t'en fais pas pour moi.

Tu ricanes. C’est qu’il assume le bougre ! Allons bon, tu te permets de lui remettre un petit coup dans les cotes en rigolant.

▬ T’es con.

Tu retournes siroter ton verre, un peu surprise tout de même qu’il ne soit pas si fort que ça. Tu bois ça comme du petit lait, tranquillement, jusqu’à descendre la fin d’une traite. Il en faudra plus pour t’alcooliser au stade « c’est la joie ».
Et ne parlons pas du stade « c’est les chiottes ».

▬ Ouais. C'est bizarre, dans mes souvenirs ça tapait sec. C'est dommage, parce qu'il est vraiment pas mauvais, même brut.

Oh. Voilà que certaines choses s’expliquent d’elles-mêmes. Il va falloir remédier à ça. Pas que ce soit mauvais, mais l’effet n’est pas vraiment là. Tu conçois qu’il faut commencer les soirées en douceur mais terminer sur l’équivalent en alcool d’un cocktail, ça c’est pour les tantouses.

▬ C'est pas grave, on peut se resservir, au pire! C'est pas comme si j'étais venu pour me mettre une mine. Oh. Un peu, quand même. Dis moi, j'espère que je pourrais squatter ici, ce soir, parce que ça m'étonnerait que j'arrive à remonter les quatre étages tranquillement.

Monsieur est venu pour se mettre la mine alors ? Parfait.
Tu te lèves, poses ton verre sur la table et te mets à genoux pour fouiller sous ton plumard. T’en sors une caisse qui pèse bien son poids quand même.

▬ Mon cher Maks, nous allons remédier à ce fâcheux problème.

Tu l’ouvres –ta chère mine d’or liquide- pour fouiller et en tirer une bouteille. Tout beau dans sa bouteille en verre, le liquide ambré qui nage dedans dégage son odeur lorsque tu retires le bouchon. Du rhum, mon grand. Là on parle sérieusement.

▬ J’espère que tu préfères pas le blanc, j’ai que ça. Mais crois-moi, ça vaut son pesant de cacahouètes.

Tu poses la bouteille sur la table, lui laisses le luxe de se servir ou non. Toi, tu tires deux bières de ta caisse avant de la pousser du pied à sa place.

▬ Sauf si tu préfères commencer en douceur.

De toute évidence, l’option rhum semble beaucoup plaire à monsieur puisqu’il attrape la bouteille pour combler le cruel manque de liquide dont souffre son verre. Il fait de même pour toi, sans que tu ne puisses vraiment te prononcer. Oh tant pis, toi qui voulait commencer doucement, va pour le rhum.
Il attrape son verre pour en taper doucement la surface avec le tien. Le doux bruit de verres qui s’entrechoquent sonne comme une mélodie à tes oreilles.

▬ Non ! Autant attaquer fort. Par contre, j'ai pas pris autant de risques pour juste un peu de rhum. Alors on va discuter, un peu ! Parce que j'ai du mal à saisir pourquoi une aussi jolie fille se retrouve à bosser dans une école.

Il a quelque chose à prouver lui, en voulant « attaquer fort ». Tu approuves d’un hochement de tête, petite voix a certainement raison. Un jour tu lui trouveras un nom à celle-là mais pour l’instant, ton attention n’est pas à ce genre de trivialité. Au-delà de son petit compliment- le jolie, subtilement dissimulé dans la phrase, bien joué Roméo-, tu t’intéresses davantage à sa question. Excellente question. L’option discussion te plait beaucoup mais d’abord, tu t’accordes une gorgée.

▬ J'aurais été moins étonné de te croiser en boîte qu'à Primepoc, pour rien te cacher.

Ce petit ajout te fait doucement rire tandis que tu remets le verre sur la table improvisée. Tu t’es déjà posée sensiblement la même question, t’es déjà étonnée de la même chose. C’est sûr que tu te verrais mieux en boite qu’ici, même en tant que videuse –ce que tu as déjà fait même si l’autorité et toi c’est clairement pas ça-.

▬ Ça tombe bien je me pose exactement la même question. Naan, sérieusement, j’ai pas vraiment choisi d’être là. Crois-moi, l’école plus loin j’en suis, mieux je me porte.

Tu mimes un bâillement en reprenant une gorgée.

▬ Mon frère a eu pitié de sa pauvre petite sœur au chomedu et il l’a trainé là. Passionnante histoire, je te l’accorde.

Tu le regardes d’un œil inquisiteur en posant ton menton sur ton poing. Quand tu y repenses c’est vrai qu’au final vous n’en savez pas plus que ça l’un sur l’autre. Autant profiter de cette occasion.

▬ Et toi alors ? Qu’est-ce que tu fabriques ici ? T’as pas l’air d’être du genre élève sérieux et passionné, je me trompe ?